Le bac du Yaudet :
Au Yaudet, la largeur du Léguer est d´environ 300 mètres au plein de la marée. Il n´existait pas de pont pour passer d´une berge à l´autre, sinon que de faire un long détour ou encore d´attendre la basse-mer de vive-eau où il ne reste qu´un mètre d´eau au fond du chenal. Il n´y avait d´autres solution que de prendre le bac : sous l´Ancien-Régime, le droit de passage ou devoir de passage était un privilège féodal dépendant d´un fief. Il faisait l´objet d´aveu au même titre que le droit de suite de moulin et autres privilèges. Le passeur y était appelé « le passager » .
Il fut établi assez anciennement semble-t-il. Ce droit appartenait à la seigneurie de Carcaradec dont le propriétaire était à la fin du 17ème siècle, Louis Rogon, lequel devait entretenir en état de naviguer les bacs, moyennant rétribution. Il avait le droit, d'après l'aveu de 1682 à cause dudit passage de prendre sur les offrandes qui se font en la chapelle de Nostre-dame de Yaudet, deux escus faisans six livres par checun mois de may de checune année avecq deux pots de vin, deux pains et deux pièces de viande pour checun jour du dimanche dudit mois de may et de faire une queste par chacune année dans les paroisses circonvoisines à la manière accoutumée (AD 22 série E). Très souvent, ce droit était affermé. Le pardon du Yaudet du mois de mai était l'occasion d'emprunter ce bac pour des pèlerins venant de tout le Trégor.
En 1726, on pouvait lire dans le rapport de Le Masson du Parc : paroisse de Ploulec´h, Notre-Dame-de-Guéaudet, François Le Marrec, Pescheur et passager.
En 1764, on trouve une allusion à la maison du passage du Yéodet. Le passeur assurait les liaisons entre le Yaudet et « L´Abri de la tempête », au Beg-Hent à Servel. Ce mode de transport favorisait avant tout les échanges agricoles, facilitait également la marche des pèlerins se rendant à Notre-Dame du Yaudet. Il existait deux bacs pour effectuer cette traversée.
Après l'abolition des droits féodaux, les services "de passage d'eau" furent réorganisés par l'Administration. Par la Loi du 6 frimaire an VII (26 novembre 1798), ils furent tous mis, avec bacs et bateaux, en adjudication au chef-lieu de canton puis au chef-lieu d'arrondissement de leur situation et affermés pour 3 ans.
En 1870, le grand bac mesurait 7 mètres 80. Il transportait animaux, charrettes, attelages, marchandises, en plus de quelques passagers. Le petit bac, le bachot, ne fonctionne que lorsqu´il n´y avait que quelques clients. Ces embarcations étaient d´autant plus en mauvais état qu´elles avaient à subir la furie des flots en plus de la négligence des passeurs (réparations du bac en 1853, en 1860, destruction en 1874).
La préfecture mit en adjudication « la ferme des droits de bacs aux passages ». La durée du bail était en général de six ans. Le titulaire exerçait dans presque tous les cas une autre profession, la seule fonction de passeur n´était pas des plus rentables, mais plutôt fertile en anecdotes.
Ce batelage resta en service assez tardivement, certainement plus longtemps qu´ailleurs. Le trafic découlant des activités agricoles, commerciales et maritimes était trop maigre pour que l´on envisageât de jeter un pont à cet endroit. Mais, si tel avait été le cas, le commerce Lannionnais en aurait vite pris ombrage. Tant et si bien, qu´en 1930, on s´interrogea sur l´utilité de remplacer le canot à rames, qui faisait office de bac par une « vedette-automobile ». Finalement, le projet fut abandonné. Le bac ne survit plus bien longtemps.
Quelques tarifs en vigueur en 1853 :
Pour le passage d´une personne non chargée : 5 centimes
Pour le passage d´un cheval et d'un cavalier, valise comprise : 8 centimes
Pour le passage d´un cheval chargé : 6 centimes
Pour le passage d´un cheval non chargé : 4 centimes
Pour le passage d´un boeuf ou d´une vache destinée à la vente : 6 centimes
Pour le passage d´une charrette vide, le cheval, le conducteur : 15 centimes
Le tableau nous montre que la place n´est pas toujours intéressante. Après une sérieuse baisse à la fin du 19ème siècle, on trouve une embellie vers le début du 20ème siècle, qui vit le tourisme se développer et les touristes affluer sur le littoral. Mais, petit à petit, les échanges commerciaux diminuèrent. A l´aube de la première guerre mondiale, la place n´intéressait plus grand monde. Le journal « Le Lannionnais » lançait un cri d´alarme dans ses colonnes.
En février 1913, le passeur du Yaudet venait de terminer son bail et personne ne se présentait pour prendre la succession de son emploi, qu´il ne souhaitait plus lui-même continuer. Il avait la lourde tache de transporter gratuitement d´une rive a l´autre les habitants des communes de Ploulec´h, Trédrez, Servel, Lannion et Trébeurden, qui désiraient franchir l´embouchure de la rivière.
Comme rétribution, il faisait chaque année une quête dans chacune des communes où il recevait autrefois du blé, des pommes de terre, etc ; mais la vie chère avait rendu les offrandes moins généreuses. Pendant l´été, les touristes étaient de bons clients, mais hélas l´été était court ; aussi la place ne faisait-elle pas vivre son occupant. Il lui fallait payer une redevance à l´état, tenir son matériel en bon état. La rivière était sans passeur. La place fut finalement reprise pour 1 Franc de l´époque.
Les derniers bacs des Côtes-du-Nord furent ceux du Yaudet et du Passage en Pleudaniel sur la rivière du Trieux, dans les années 1930.
témoignage de François Le Pierres :
François Le Pierres, ancien pilote de port, a livré dans sa langue maternelle en Breton en 1985, quelques uns de ses souvenirs, en expliquant la fin du métier de passeur. Il nous fait comprendre qu´il n´était pas facile de vivre uniquement de cette occupation. Les derniers passeurs possédaient tous un rôle de pêche.
Le Yaudet, je me souviens du bac « La Blondine », dont le propriétaire était Daniel qui habitait dans la vallée. La maison est aujourd´hui en ruine, du coté du port, dans la broussaille, en bas, du côté du quai, un peu plus vers Lannion ; c´est là qu´il habitait, son nom, c´était Jean Marie Daniel.
En ce temps-là, il y avait un autre, mais je ne me rappelle plus de son nom. Le bateau appartenait aux Ponts et Chaussées. Ceux qui faisaient le passage étaient payés par ceux qui traversaient ; ils avaient le droit de faire une quête, à Ploulec´h et à Servel. Ils avaient le droit de faire une quête auprès des passagers et ils avaient le droit de faire deux passages, le grand passage et le petit passage, disait-on.
Ils avaient des bateaux fournis par les Ponts-et-Chaussées, puis après on les a supprimés. Les gens venaient beaucoup à bicyclette. Le grand passage était pour les chevaux. Il a existé jusque vers 1920-1921. Ensuite, ce fut terminé. Les Ponts-et-Chaussées ne s´en occupaient plus et le passeur était devenu indépendant.
Celui qui avait le passage faisait le prix qu´il voulait. Souvent c´était : « Combien je vous doit Monsieur ? Oh, comme vous voudrez ! ». Alors il prenait un Franc (1 Lur). Mais je me souviens de passeur comme Pierre Rioual qui prenait 50 centimes (10 gwenneg) pour traverser ; et pour la bicyclette, c´était 25 centimes. Mais il ne prenait pas les chevaux. Autrefois, quand il fallait embarquer les chevaux, ils allaient à "l´Abri de la Tempête". Ils n´allaient pas au quai, car il y a plusieurs marches à grimper. Les chevaux étaient débarqués à côté, où il y avait un quai autrefois, là où descendaient les charrettes pour prendre du goémon. Auguste Daniel fut le dernier passeur du Yaudet.
Synthèse complétée, d'après les recherches historiques effectuées par l'Association de sauvegarde du patrimoine de Ploulec'h et les travaux de Jacques Roignant (AD 22, série 1 E).