Témoignages enregistrés par Mme Yvonne Jouan (UTL Lannion) : synthèse des enregistrements

- Témoignage de Mme Roche-Bertin, 4 novembre 1992 :

Pierre Roche, originaire des Vosges, exploitait les carrières de la Clarté en Perros-Guirec de 1930 à 196O. Il employait des ouvriers de la région mais aussi des Vosges, du Huelgoat et des Italiens., qu'il logeait dans la maison familiale.

- Témoignage de Monique Le Fessant née Hantz, le 15 avril 1993 :

Louis Hanz, originaire des Vosges, travaillait dans la carrière de M. Etienne aux Traouieros vers 1930, avant d'ouvrir sa propres carrière, avec Yves Gad. En 1935, il employait 20 ouvriers, dont l'un d'entre eux Pierre Hamony, ouvrit une carrière à Landrellec. Vers 1939, il créée la "Société coopérative de granite Rose, vendu à Yves Gad vers 1970, qui poursuivit l'activité : de nombreux monuments funéraires, le monument des Américains à Brest (2 ans de travail aux sculpteurs). Elle expédiait aussi des gros blocs de brut appelé "Rose de la Clarté". Hanz se mit plus tard jusqu'à la fin de sa vie graveur à son compte avec ses deux filles.

- Témoignage de Marie Urvoy, dite "Marie Cantine", le 26 mai 1993 :

Née en 1916 à l'Ile Grande d'une mère perrosienne et d'un père de l'Ile Grande, François Urvoy, fendeur aux carrières du Hinglé. Elle fut employée vers 1930 par Pierre Roche pour faire la cantine aux ouvriers, d'où son surnom.

- Témoignage de Henri Mangel, la Clarté, novembre 1993 :

Henri Mangel est né en 1911 dans les Vosges, il arriva à Perros en 1934 en compagnie d'un ouvrier italien (ceux-ci formaient les 3/4 du personnel de la carrière Etienne). Il devait y rester pendant 50 ans et épousa la sieur de Yves Gad. En 1936, les premières grèves : le bassin de granite occupait 200 ouvriers syndiqués ; cependant l'extraction repris : payé à l'heure, il repérait les veines pour prévoir la mise de coins où serait enfouie la poudre noire explosive. Il détectait aussi les "crapauds", tâches noires ou autres défauts, veines rouges ou de quartz, amas de cristaux. "On travaille à trois. L'un tient la barre (chanteperce) en la faisant tourner tandis que les deux autres frappent la barre à mine à tour de rôle avec la masse. Des journées entières à trois pour faire un seul trou ! ". "Il fallait arrêter quand on commençait à voir trouble". Chaque carrière avait un forgeron : "la chauffe se fait au charbon ; le bois ne donnerait pas assez de force pour rougir et travailler poinçons pour fendeurs et tailleurs et ciseaux pour sculpteurs". H. Mangel se réfugiait dans les "cabanes", recouvertes de tôles, des tailleurs lorsque le très mauvais temps gel-neige gênait le travail extérieur. Il qui n'ont participait au débit des blocs à l'aide de mortoises, massettes et autres outils. "Le salaire era maintenu par les patrons bretons, différents dans ce domaine des patrons vosgiens pas la m^me facilité d'occuper les ouvriers de l'extraction trop éloignés des lieu d'exploitation".

Après la guerre, le matériel était difficile à remplacer : Mangel acheta à Brest un canon, dont il devait récupérer le la tourelle pour en faire un socle de grue ; la mât en fer d'un bateau servit de structure ; le roulement du haut fut assuré par une pièce provenant d'un radar allemand de la station d'écoute de Mez Gouez. Les ouvriers étaient payés à la tâche : "le meilleur était François colombier de l'Ile Grande". Chacun allait au travail avec ses sabots cerclés. Le dessous était recouvert d'une tôle provenant souvent d'une boîte de conserve et fixée de clous qui empêchait de déraper. Pour se protéger les mains, lorsqu'il fallait charger les pavés et les boutisses, les ouvriers utilisaient des découpes des chambres à air de vélo. Les pavés qui nécessitaient un grain fin, provenaient de Kérénoc au-dessus de chez Jean Le Dantec, et les bateaux contenaient 250 tonnes de Pavés. Les accidents souvent mortels étaient souvent causés par une chute de blocs, que les ouvriers ne pouvaient entendre à cause du bruit du compresseur. L'école St-Cyr-Coëtquidan fut lune des oeuvres de la carrière Mangel.

- Témoignage de François Thépault, novembre 1944 :

Né en 1923, il habite La Clarté depuis 1926 où son père forgeron résidait sur le tertre. Dés l'âge de 13/14 ans, il apprit "son coup de main" en faisant de petits travaux à la forge où il cerclait surtout des sabots. Son père se rendait souvent chez Roche pour ferrer les chevaux des clients et "pointer" les outils. Autodidacte, il transforma rapidement l'atelier de mécanique générale en atelier spécialisé pour le travail du granite. Dés 1950/52, il montait le premier compresseur d'air comprimé, malgré les moqueries. En 1932, il installait son atelier rue de la Chapelle et continuait à ferrer les chevaux : il en entretenait 300 jusqu'à la fin de ce travail Il s'adapta ensuite à son nouveau métier : monter des treuils, des fils, des grues, refaire des moteurs et des compresseurs, dépanner les granitiers : "les polisseurs étaient très exigeants". Il dépannait les carriers de l'Ile Grande : Roic, Guyon. François était appelé le "chirurgien de la mécanique des carrières". Il monta la première scie à fil qui descendait à raison de 5 cm à l'heure dans un bloc de 3 m de long. La dernière qu'il fabriqua descendait de 80 cm à l'heure sur un bloc de 5 m de long. Les soudures à l'arc lui brûlèrent les yeux ; mais il ne causa pour sa fierté aucun accident lui-même.

Témoignage de Eugène David : la vallée des Traouïero (synthèse : enregistrement du 3 août 2006) :

Eugène David est né en 1932 à Tourony en Trégastel. Son père ouvrier puis artisan carrier était originaire de Huelgoat, autre pays de carrières et de chaos granitiques. Celui-ci est venu travaillé sur la côte de Granit Rose, parce qu'il était mieux payé qu'au Huelgoat, comme tailleur de pierre. Il a travaillé dans plusieurs carrières de la Clarté et était logé à l'hôtel des Traouïero, tenu par la fille du carrier Hantz. Il s'est marié à la fille d'un cultivateur de Roc'h Ledan en 1932, est parti travailler à Rennes quelque temps puis est retourné à Tropéric (la Vallée des Poires) travailler à la carrière des Piliers, concurrente de la carrière Etienne des Traouïero, avant de s'installer pour son propre compte. Eugène David fils travailla avec son père dès l'âge de 13 ans jusque la fin de la guerre. Mais cette nouvelle carrière fut abandonnée en 1939, lorsque les chaos granitiques furent classés. Le père Eugène David décéda quelque temps plus tard de la silicose.

A cette époque, le sentier allait de Roc'h Ledan au bourg de Trégastel et traversait la vallée, en évitant de passer par la côte de Ploumanac'h. Un gué avait été aménagé par les prisonniers allemands lors de la 1ère guerre mondiale sur le ruisseau de Kerougant (avec la pose d'une pierre tombale). Ce sentier pouvait être utilisé par les carriers et par les paysans des fermes voisines de la vallée, qui pratiquaient au 19ème siècle le pâturage dans la partie basse moins encaissée des Traouïero (on peut encore remarquer la trace des talus qui traversent la vallée entre les deux coteaux).

Les carrières de la Clarté furent ouvertes en 1926-27. En 1936-37, la carrière Rioch ouvrit aux Piliers, nom qui lui fut donné à cause des 8 piliers en granit, érigés pour soutenir un "pont roulant" ou "pont transporteur", qui permettait de faire circuler un chariot mobile et un treuil sur un rail surélevé des entretoises métalliques, pour déplacer les blocs de pierre de la carrière au charroi. Il s'agissait d'attaquer le flan de la vallée de façon perpendiculaire. Une forge fut construite près du sentier entre Tropéric et Kergomar. Ce sentier empierré servait de charroi pour la sortie des blocs depuis l'époque des charrettes avec une pente toujours égale, soutenue par un contrefort en pierre sur toute la longueur. Cependant, la carrière Etienne, reprise ensuite par Rivoallan, qui travaillait un granit plus rare et recherché pour la qualité de ses micas noirs, fit l'acquisition d'un terrain pour stocker ses déchets de carrière et bloquer l'accès de la vallée, classée ensuite à l'inventaire des sites.

Cette initiative empêcha Eugène David père de poursuivre son exploitation artisanale dans la vallée.

L'étang du moulin à marée fut rendu par jugement à la carrière Etienne en 1943, laquelle carrière utilisait pour scier les blocs de granite la retenue d'eau aménagée (avec une digue), en amont du ruisseau qui sépare les deux communes. Etienne innovait les premières scies à couper le granit, en utilisant de grands châssis en acier de 4 m de long, avec de la grenaille de fer et de l'eau en quantité pour refroidir les lames, en puisant dans la réserve d'eau constituée.

En 1927-28, une pont de chemin de fer fut réalisé avec le projet de relier les deux vallées des Traouïero entre Perros-Guirec et Trégastel pour faire cheminer le train du second réseau sur toute la côte de Granit Rose jusqu'à Trébeurden. Mais ce projet n'aboutit pas à cause de la volonté de la commune de Perros-Guirec, classée station balnéaire, d'arrêter la ligne de chemin de fer au terminus de Perros-Guirec, en s'assurant ainsi un certain monopole touristique ; alors que Trégastel était classée "station climatique", en se tournant vers un tourisme plus populaire. Il faudra attendre quelques décennies suivantes pour que de nouvelles familles investissent le foncier littoral de la commune de Trégastel et s'approprient ses espaces côtiers pour des projets immobiliers à la fois touristiques et balnéaires (des cabines de bains aux nombreuses villas propriétés de quelques familles).

Les outils et leur utilisation technique : témoignage de Eugène David (synthèse : enregistrement du 3 août 2006)

La technique du coin de fer, du poinçon ou fendeur carré :

On évidait d'abord le trou ovale avec un poinçon carré (pointe carrée), en utilisant les arêtes, c'est-à-dire en travaillant dans les angles et pas au milieu du trou. Le trou devait mesurer 18 mm de diamètre. La pointe du poinçon devait être durcie par trempage dans l'eau.

La technique du raffineur :

Pour terminer le trou en rond, pour affiner, on utilise un 2ème coin en acier pointu au bout (section en acier trempé), avec une face très plane, très fine. Le trou mesure entre 4 et 7 cm de profondeur. Le coin est coupé dans une barre de fer (en acier spécial), cassée en plusieurs morceaux de 30 à 40 cm de section, à l'aide d'une masse. Le coin a toujours deux faces, une plus courte incurvée et une plus longue. Il mesure 5 mm au niveau de la base qui reçoit le percuteur et 12 à 13 mm au niveau de la pointe carrée. Il mesure hors tout 18 cm de longueur maximum à cause des vibrations qu'il émet en recevant des coups de masse réguliers et pour la tenue dans la main. Par la force des coups de masse répétés on utilise une masse légère de 2, 5 kg), le coin va frapper les parois du trou, l'acier du coin va se déformer : "le coin comprimé emmagasine de l'énergie". Le fendeur tape régulièrement sur la ligne de coins qui traverse le fil de la pierre, sans forcer, en écoutant le bruit, le chant de la pierre qui va céder et se fendre à un moment donné, selon un son caractéristique.

La mère Aimée (synthèse d'après les témoignages recueillies par l'UTL de Lannion) :

La "Mère Aimée", originaire de Saint-Quay-Perros, tenait auberge face à la sacristie de la chapelle de La Clarté ; les carriers s'y retrouvaient lors des pauses indispensables dans leur dur labeur. L'aubergiste tenait d'une main ferme cette clientèle rustre, ayant toujours une bonne histoire à raconter, une plaisanterie à échanger en breton, une confidence à écouter. La "Mère Aimée" reçoit aussi à sa table des "artistes" en villégiature, sans doute économes de leurs deniers mais surtout à la recherche de dépaysement et d'inspiration populaire.

Soudain, en grande pompe, apparaît la soupière,

Enfin ! Et par instants, dans la salle à côté,

On entend les maçons et les tailleurs de pierre

Assaisonner leurs choux d'une honnête gaieté. (G. Vicaire)

Les uns trinquaient au fameux "gwin ardant" si cher à nos compatriotes et dont Gabriel Vicaire, un habitué des lieux disait :

En fait de goutte, Aimée eut toujours le meilleur !

Un café-épicerie, ouvert toute la journée, fonctionnait aussi en restaurant, là où se trouvait l'annexe de l'hôtel du Verger, actuellement transformée en appartements.

Marie Cantine (témoignage recueilli auprès de Marie Urvoy, par Mme Jouan, UTL de Lannion, avril 1994) :

Le contremaître de la carrière Roche, Ropars, faisait appel à la famille Urvoy qui était très bien logée à Mez Gouez dans une première maison à deux étages avec cuisine, salle et chambres. Les ouvriers habitent la maison attenante, tout en longueur, qui comprend 10 chambres et une grande pièce qui sert de salle à manger.

C'était mon premier emploi, dit Marie Urvoy, j'avais 14 ans et, avec ma mère, j'allais assurer la cantine. Depuis, je suis Marie Cantine ! .

Deux fois par jour, même le dimanche, il fallait préparer la soupe, les hors d'oeuvre, la viande (pot-au-feu, saucisse, ragoût), les légumes et servir le vin. Afin de lutter contre l'alcoolisme, on avait des heures pour servir du vin, mais interdiction de servir cette boisson pendant le travail ! Le rude labeur du carrier se déroulait dans une nuée de poussière qui n'incite pas à la sobriété. Comme les ouvriers sont "déshydratés" il est difficile de les empêcher de boire le vin qui leur est cher. Sur le chantier, les coins cachettes ne manquent pas : exemple celle près de la forge où, en venant aiguiser leurs outils les ouvriers ont une bonne occasion de prendre une "lampée". Tout était était occasion de boire : une naissance, un mariage mais aussi et quotidiennement des paris ! Ce qui les tuait, c'est le "gwin ardant" (l'alcool de cidre) et pourtant, en parlant de ce "calvados" ne disait-on pas :

Nerz Kalon vit an tud a poan

Med droug meur evit e vempro

Rak krenen re vel eur bardelliou.

Ça donne du coeur à l'ouvrage aux gens qui peinent

Mais c'est mauvais pour les membres

Car ça fait trembler comme des feuilles.

dans les années 1930, le repas coûtait 5 F (13,25 F en valeur 1992) et le litre de vin : 2, 50 F (6,60 F en valeur 1992). Les repas étaient retenus sur la paye. Marie Urvoy comprenait et aidait de son mieux tous les ouvriers. Son père n'était-il pas l'un d'entre eux ? Elle parlait de sa fierté d'aller à l'école avec des pommes que son père lui envoyait lorsqu'il travaillait au Hinglé comme fendeur. Éloigné de sa famille, ce bon père faisait parvenir des colis à sa femme. Il y mettait tout ce qui pouvait lui faire plaisir et qui ne poussait pas sur les landes de l' Ile-Grande, en particulier, des châtaignes et des pommes.

Dans sa cuisine, occupée aux "pluches", Marie "suivait" le travail de la carrière. Parfois elle n'entendait pas les ouvriers crier gare à la mine ! pour prévenir de l'explosion imminente, sa chèvre courait alors vers la maison semblant l'avertir. Avait-t-elle peur ? redoutait-t-elle quelques éclats ? Marie ne pouvait se l'expliquer.

Ces "pensionnaires" isolés de leur famille, n'y retournent qu'aux grandes fêtes. Ils assurent eux-mêmes le lavage de leur linge dans un trou d'eau situé dans la carrière et qui leur sert de lavoir. Bien sûr ils (surtout les italiens) rencontrent parfois la belle jeune bretonne qui les séduits, c'est souvent une Ploumanachaise. Ceux du Huelgoat préfèrent leurs payses !

"Marie Cantine" garde un très bon souvenir de cette époque et clame combien Mr. Roche l'entrepreneur des carrières était un homme formidable . Elle nous dit son plaisir de servir tous ces ouvriers, une vingtaine, midi et soir. Aidée de sa mère et de sa soeur venue les rejoindre après avoir été pensionnaire à l'Ecole N.D. de La Clarté, elle travaille dur au ménage, aux pluches, à la plonge. Elle continuera ce travail car son père meurt en mars 1939, il a 52 ans et vient de construire une maison. En 3 jours, Marie assiste impuissante à l'agonie douloureuse de son père. Celui-ci s'est piqué le doigt avec un fil d'acier en remontant un bloc de pierre à la Coopérative et le tétanos l'emporte.

Marie doit à nouveau travailler encore plus. Elle assure alors, en plus du restaurant que sa mère a installé chez elle au pied du tertre, la "cantine scolaire".

Témoignage de Monique Le Fessant née Hantz par l'UTL de Lannion, le 15 avril 1993

Monique Hantz habite au 9, rue St-Guirec à Perros-Guirec.

Son père Louis Hantz, né en 1897 et mort en 1967 habite Planois, dans les Vosges et travaille chez M. Etienne, le père de Mme Rivoallan bien connue à Ploumanac'h. M Etienne est propriétaire de la carrière . Voici que la soeur de Monique fait de la tuberculose dans le genou. On recommande à M. Hantz de venir en Bretagne : Perros lui conviendrait.

Vers 1930 :

Louis Hantz vient travailler dans la carrière que Etienne a ouvert aux Traouieros. Sa fille sera soignée et guérira (elle vit toujours } grâce à l'utilisation de la "toile souveraine", sorte de toile marron qui enlevait le pus, remède recommandé par un curé des Vosges.

Durant trois ans, Louis sera ouvrier et sa femme tiendra restaurant dans la maison qu'il a construite, aidé par le maçon Louis Salvi et des italiens. Au sous-sol situé hors terre, on voit deux grandes portes. Là sont rangées les machines à polir car, bien vite, il ouvre sa propre carrière et prend comme ouvrier Yves Gad.

En 1935 :

II va chercher deux bons ouvriers au Hinglé : M Meury et M Gautier qui arrivent, avec leur famille et leurs meubles. Il les loge dans sa grande maison. Mme Meury loge à gauche (elle y accouchera d'un fils) et elle vît encore à Perros ; son mari finira chez M Etienne. M. Gautier construira une petite maison rue Traverse à Ploumanac'h.

En 1936 :

Louis Hantz a 20 ouvriers, la plupart originaires de la proche région . L'un de ces ouvriers, Pierre Hamony, aura un fils qui ouvrira une carrière à Landrellec.

Ceux qui habitent trop loin se restaurent le midi chez Madame Hantz, car très vite Louis construit un hangar sur sa carrière, y range ses machines à polir et son matériel et transforme son rez-de-chaussée en restaurant tenu par sa femme. A Noël, il y réunira tous ses ouvriers autour d'un grand repas.

En 1939 :

C'est la guerre ! Louis Hantz qui se morfond de n'avoir eu que des filles et le fait savoir, parcourt le pays pour chercher des commandes...piètre résultat... Va t-il fermer ? Non, il crée "La Société Coopérative de Ganite Rose. Yves Gad en sera le directeur pour le prix de location de 6 m3 de granit par an.

Puis L. Hantz qui est Président de la Société, vend d'abord les bâtiments, les hangars et, après le décès de sa femme, le terrain pour le prix de 6 millions de francs, vers 1970. De ses ateliers sont sortis le monument des américains à Brest qu'il grave entièrement et de nombreux monuments funéraires des cimetières de Perros, la Clarté, Pleumeur. Il vend ses monuments à la marbrerie Ruz à Brest. Les deux familles deviendront amies.

Il se retire et se met graveur à son compte. Il trace lui-même ses dessins, des rosés, grave la tombe de sa femme, va à Paris et à Meaux où il grave jusqu'à la veille de sa mort.

Une de ses filles, très bonne en dessin, deviendra elle-même graveuse.

Il est vrai que L. Hantz fera appel à ses filles pour l'aider dans ses travaux. Le métier de graveur au travail minutieux qui nécessite une patience d'ange, exige des outils, petits burins très fins bien aiguisés. Ses filles actionnent à tour de rôle une meule qui passe dans une cuvette d'eau.

Il va dans le cimetière graver puis dorer à la feuille d'or les monuments. Il faudra empêcher que l'or du pinceau ne soit emporté par le vent. Son carnet de feuilles d'or à la main, il se protège alors avec des draps ou une grosse toile que ses filles (elles ont 7 et 9 ans) tiennent autour de lui pour lui permettre de travailler à l'abri.

Pas drôle ce travai, heureusement que le dimanche, le chantier s'arrête. Les filles en profitent et demandent à leur père de mettre au bout des rails un bloc de granit pour arrêter le wagonnet qu'elles empruntent pour descendre à toute vitesse, remonter, redescendre et s'amuser de bons moments !

Le vivre et le couvert

Le patron logeait tous ses ouvriers. Plus tard, chacun chercha à construire sa petite maison toute proche de son travail. Vers 1925, aucun des trois hôtels de tourisme de Ploumanac'h ne pouvait s'engager à loger ce personnel toute l'année. Etienne qui venait d'ouvrir la carrière des Traouïero, construisit un bâtiment, devenu aujourd'hui l'hôtel Albatros, puis deux maisons pour le chef d'exploitation et le mécanicien. Il installa des abris et un chalet en planches sur des terrains dont la propriété fut un temps contestée et nécessita un accord entre les mairies de Perros et de Trégastel. Quant à la restauration, elle était assurée par la cantine du chantier. Vers 1935 l'entrepreneur Hantz allait chercher deux bons ouvriers au Hinglé : Meury et Gautier qui arrivèrent avec femmes, enfants et meubles. Il les abrita dans sa grande maison au carrefour de Ploumanac'h. Les ouvriers qui habitaient trop loin, y mangeaient le midi à la cantine de Mme Hantz. Roche à Mez Gouez faisait aussi le maximum : Il s'occupait lui aussi du logement et de la nourriture de tout son monde ; il créa une cantine, où Marie Urvoy, dite "Marie Cantine", faisait la soupe aux ouvriers.

Le travail dans les carrières dans la 1ère moitié du 20ème siècle (synthèse d'après les recherches de l'UTL de Lannion et les témoignages des carriers) :

Dans la première moitié du 20ème siècle, les dispositions légales commencent à protéger les ouvriers. En 1900, on travaille encore 12 heures par jour et ce n'est qu'en 1906 que la loi instaure le repos hebdomadaire. En 1919, la durée de la semaine de travail est réduite à 48 h.

Mais cette réglementation intéresse peu ceux qui travaillent le granite. La plupart sont en effet payés à la tâche. Lorsque les jours allongent, à la belle saison, les chantiers sont actifs depuis 6 h le matin jusqu'à la nuit tombée. A cette époque là, le patron agit en "paterfamilias". Il se fait un devoir, s'il en a la possibilité, d'occuper et donc de payer tous ses ouvriers même par temps de pluie, de neige ou de gel. Plus difficile de faire cela dans les Vosges où les lieux d'extractions à flanc de coteaux sont éloignés des ateliers de taille et de polissage situés dans la vallée. Là-bas il est vrai que lors des intempéries, les "Caisses de Congés des Bâtiments" suppléent à la perte de salaire. En Bretagne, les hivers ne sont pas rudes et le travail à l'extérieur est possible presque toute l'année.

Quant aux salaires, il faut tenir compte des diverses spécialités : le tailleur, le polisseur, le forgeron, le fendeur. Certains perçoivent un salaire horaire, d'autres sont payés à la tâche, les graveurs à la lettre. Difficile de donner des chiffres. Les femmes connaissent rarement la paye des maris ; ceux-ci détruisent leurs bulletins de salaires après être passés au café pour régler leurs dettes avant de rentrer au logis. Les grèves de 1936 auront pour effet de régulariser et d'uniformiser certaines situations.

Un métier à risque

Aujourd'hui comme hier, pour extraire le granite, on fait des trous de mine et on utilise de la poudre. Le travail est donc toujours dangereux. Mais naguère, c'est à la main que l'on manipulait tous les outils et la sécurité n'était pas l'objet de règlements très stricts.

Le maniement de l'explosif est encore plus risqué. Après avoir foré le trou et introduit la charge, il fallait effectuer, par-dessus, un bourrage fait de terre et de sciure, puis mettre le feu à la mèche que l'on choisissait assez longue pour donner aux hommes le temps de s'éloigner avant l'explosion. Malgré la connaissance réelle du danger, beaucoup se sont hasardés à venir constater un peu trop vite l'effet de la mine. Ils ont été surpris par une explosion à retardement ou des éboulements et le "malheur" est arrivé.

A tout moment un accident est possible : rupture de câble ou de courroie, mauvaise manipulation des explosifs, éclats de pierre dans les yeux... Pour quelques uns, ce métier a provoqué de grandes difficultés respiratoires pouvant aboutir à la silicose.

Les gros blocs, détachés de la masse sont remontés à l'aide de treuils ou de grues. Alors commence le travail du fendeur . "Attaquer" ce gros bloc avec des coins est un rude et habile travail.

On comprend que l'apprentissage soit long : plusieurs années sont nécessaires. Contrairement à son compagnon carrier, le fendeur ou le tailleur subit moins les intempéries, il travaille sous un abri monté sur le chantier. Les outils et matériels divers sont tout près, dans une cabane recouverte de tôles. Les orages brutaux ou les tempêtes n'épargnent pas les ouvriers. des toitures soulevées ont parfois touché la grue, leurs projections sur les fils électriques ont provoqué chocs et courts-circuits.

On travaille en sabots et sans gants

Tous ont beaucoup de mal à s'habituer au port des sabots de bois cerclés. On s'affaire près de la forge pour placer sous les sabots une semelle en tôle provenant bien souvent d'une boîte de conserve, avant d'y fixer de gros clous (les "tachou-botou" en breton) qui les empêcheront de déraper. Cette protection est toute relative étant donné le poids des blocs et sera abandonnée peu après la deuxième guerre mondiale. Les sabots seront remplacés par des chaussures montantes à bouts renforcés d´une coquille métallique.

Si les pieds sont assez bien protégés, pour les mains, les ouvriers emploient des découpes de chambres à air de vélos.

La journée de travail

Elle se déroulait du lever au coucher du soleil. "Chacun commençait son travail un peu à sa convenance. Ainsi certains prennent l'habitude de débuter la semaine le mercredi midi quand le "vapeur" de Montroulez (le bateau de Morlaix) passait au large.

L'hiver, la lune éclairait les dernières heures de travail, tandis que les soirées d'été étaient bien longues !

Les pensionnaires, isolés de leur famille, ne retournaient au "pays" qu'aux grandes fêtes. Ils assuraient eux-mêmes le lavage de leur linge dans un trou d'eau situé dans la carrière. Cette mare leur servait de lavoir mais aussi de cachette pour tenir au frais la bouteille de vin sur le chantier . Lorsque l'eau devenait trop claire et que le chef de chantier pouvait découvrir la cache, l'un des ouvriers lançait l'appel en breton : Arri eo poent meskan ! (Il est temps de remuer l'eau) pour la rendre trouble.

Les grèves de 1936 (synthèse d'après les travaux de recherche de l'UTL de Lannion) :

La vie sur le site des carrières se déroulait assez paisiblement quand éclatèrent les grandes grèves de l'été 1936. Des gamins rejoignaient les ouvriers (200 à 250) qui se regroupaient à la carrière Madec au Tertre. Ils assistaient en plein air aux discussions. De nombreux italiens animaient les débats en jouant de la mandoline. De belles voix de "ténor" s'élèvaient lorsque le cortège s'ébranlait en direction de la Mairie de Perros. Tous descendaient sur la plage où les touristes ouvraient leurs porte-monnaie pour aider les grévistes. Les épouses de ceux qui entraînaient la petite équipée travaillaient à l'hôtel de La Roseraie . Elles étaient un peu gênées. Les carriers firent la grève durant cinq semaines. A l'entrée de l'une des exploitations les grévistes accueillèrent des "croix de feu" avec des fusils et crevèrent les pneus de leur véhicule . Deux syndicats furent constitués : l'un pour les maçons, l'autre pour les carriers. Edouard Quéré menait les débats. Il résolvait les "différends", les problèmes des uns et des autres et créait un esprit de solidarité. Edouard Quéré discutait ferme la convention collective. C´était un "brave homme", selon l'avis du gendre du carrier Roche, Bertin qui pourtant s´était heurté à lui ; il ne manquait jamais de revoir ce "patron" lors de chacun de ses séjours à La Clarté. Plus tard, il fut le fondateur de la coopérative "Le granit rose » aux côtés de Hantz et de Henri Mangel. Le résultat des grèves : l'heure de travail était portée de 4 F à 4,50 F (13 F à 15 F 1992) ; la semaine des quarante heures (ce qui voulait dire paiement en heures supplémentaires au-delà des 40 heures) ; les congés payés annuels.

Vie et travail dans les carrières pendant la deuxième guerre mondiale (synthèse d'après les travaux de recherche de l'UTL de Lannion)

Pendant cette période de guerre, les carrières sont réquisitionnées par l'Organisation Todt, constructeur du " Mur de l'Atlantique". Messieurs Roche et Etienne font venir des jeunes ouvriers de leurs usines de la Meuse et des Vosges et leur évitent ainsi leur acheminement vers l´Allemagne au titre du S.T.O. Les Allemands veulent des gros blocs taillés ensuite en claveaux (pierres en coins formant des voûtes). Tous les carriers n'ont qu'un but en tête : faire capoter ce" mur." Tous les motifs sont bons pour ralentir la fourniture de ces claveaux : blocs cassés, camions en panne, granite de mauvaise qualité qui se fend, ou impossibilité de conduire les blocs en gare de Lannion.

Dans sa carrière, M. Ropars ne sera pas mobilisé car il n'a qu'un bras. Il l'a perdu dans son exploitation en 1925 lors de l'explosion à retardement d'une mine. Il travaille obligatoirement pour les Allemands mais aussi... pour les Français. Lui aussi embauche des ouvriers qui fuient le S.T.O.. Dès que les Allemands pénètrent sur le chantier, ses ouvriers se cachent et lui-même s'installe à la machine à polir... Les Allemands qui ont toujours cru qu'il avait perdu son bras à la guerre 1914 n'osent pas intervenir. Il se défend d'ailleurs en disant : "Si je ne peux pas polir, moi je n'ai plus rien à faire ! "

Jour après jour, l'attitude des Allemands se durcit. Ils surveillent les côtes...et craignent que "l'usine" Roche-Petiot" et la Chapelle de N.D. de la Clarté ne servent de repères aux anglais. 650 allemands s'enterrent dans des blockhaus, et décident de détruire ces repères . Les Français, mobilisés à cet effet, refusent de participer à la démolition de leur chapelle. M. Conan, Maire de Perros, s'y oppose également. Les officiers allemands hésitent, certains sont croyants... mais ils font sauter "l'usine" Roche-Petiot gérée par M. Bertin. Heureusement, en février 1944, ce dernier, avait fait déménager tout le matériel qu'elle contenait (machines ...etc.) dans une ferme, à un endroit indiqué par Mme Rivoallan, fille d´Isidore Etienne.

Dans la carrière Madec, une vingtaine de personnes travaillent pour tailler des claveaux afin de réaliser les fondements des pilotis de la base sous-marine de Lorient. Ces claveaux assemblés et superposés forment les colonnes immergées qui soutiennent le béton protecteur anti-bombes. Il faut faire vite ; les Allemands (seuls clients) passent les commandes, exigent le respect des délais et paient. La débâcle arrive ! et les Allemands n'ont rien emporté. Ces claveaux serviront ensuite aux municipalités et aux Ponts et Chaussées. Il en reste au parking du Ranolien. L'effectif du personnel diminuera rapidement à l'armistice ; il faut trouver d'autres marchés ; d'autres difficultés commencent.

La reconstruction des phares détruits par la guerre 1939-45 (d'après le témoignage oral de Henri Mangel) :

Les grands phares des Côtes d'Armor furent tous détruits ou subirent des dommages importants à la fin de la guerre 1939-45. Ce fut le cas de celui des Sept-îles, de Ploumanac'h et des Héaux de Bréhat. Les maisons-phares furent épargnées. Une cinquantaine de compagnons partit à l'Ile-aux-Moines pour reconstruire le phare des Sept-Iles qui fut inauguré le 14 juillet 1952. Cette opération se fit en partie, à l'aide de pierres extraites dans l'île même et façonnées sur place. L'autre partie, taillée ou non, fut apportée par bateau. Afin que les bateaux puissent accoster, une cale fut construite pour débarquer tout le matériel. Les grands blocs étaient montés dans la cabane auprès du phare pour y être taillés. Une jeep assurait le transport. Sur place la vie s'organisait : les Ponts et Chaussées avaient installé un dortoir, un réfectoire et une cuisine. Ils fournissaient également un chef-cuistot de la marine et son aide. Le dimanche, chacun rentrait chez soi et le lundi matin, rembarquait pour la semaine. Le phare de Ploumanac'h fut totalement reconstruit dès 1945 en granite rose de La Clarté. Le couronnement du phare des Héaux de Bréhat fut reconstruit avec du granite gris provenant du site de Bringuiler et taillé par les ouvriers de la Coopérative "Le Granit Rose".

Liste nominative des carrières de granite rose et vert porphyroide des Traouiëro :

- Carrière de la société Isidore Etienne

- Carrière de Tropéric, anciennement exploitée par E. David.

- Carrière de Kergomar, anciennement exploitée par Roche.

- Carrière de Roudouharo : autrefois exploitée pour perré avec blocs de granite type Traouïero entourée de perré.

Glossaire technique :

Amphibole : silicate de chaux et de magnésie.

Boutisse : pierre qui présente son côté étroit.

Claveau : pierre taillée fermant une voute.

Crapaud : défaut (tache noire) existant dans la pierre.

Diaclase : fissure ne provoquant pas le déplacement des roches affectées.

Diorite : roche éruptive sans quartz et à amphibole.

Estran : partie de la côte que la marée couvre et découvre.

Feldspath : minéral essentiel des granites.

Front de taille : surface verticale suivant laquelle on attaque la couche exploitée.

Granodiorite : granite riche en plagioclases et pauvre en feldspath.

Intrusion : action de s´introduire contre le droit.

Magma : masse fondue qui donne naissance à des roches variables en composition minéralogique et en structure mais à peu près analogues en composition chimique.

Orogenèse : phase au cours de laquelle s´édifient les reliefs de l´écorce terrestre.

Porphyroïde : se dit d´un granite à très gros feldspaths.

Stèle : monument formé d´une pierre debout.

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