Balade au pays des moulins (texte de Roger Le Doaré, ARSSAT) :
Si le Trégor est connu pour ses côtes, ses manoirs et ses chapelles, on oublie que ce fut aussi un lieu privilégié pour l´implantation de moulins de tous types, à vent, à eau, à mer puisque en 1810 on comptait 390 moulins à eau (et mer) et 44 moulins à vent pour le seul arrondissement de Lannion.
Ce phénomène est perceptible autour du port de Ploumanac'h où se trouvent 6 moulins dans un rayon d´un kilomètre et par chance Perros-Guirec et Trégastel partagent chacun un type de chaque sorte que nous allons rencontrer au cours de notre promenade. Ce sont tous des moulins à céréales contrairement aux moulins de l´intérieur souvent spécialisés dans le lin et le papier
Nous verrons aussi que sans la Corniche le passage d´une ville à l´autre fut jusqu´à 1925-1930 un parcours du combattant que nous n´allons pas hésiter à revisiter en prenant le chemin des meuniers par les carrières de granite, autre richesse de notre côte.
Le premier moulin s´appelle le Moulin Bleu (Milin Glaz) à cause de son toit en ardoise aujourd´hui. Il est plus connu sous le nom de moulin à mer du Grand Traouiëro. C´est aussi le plus ancien puisque le droit d´édifier ce Moulin fut octroyé à Bryant de Lannion par le roi de France Charles V en 1375. Construit quelques années plus tard, il fonctionnera jusqu´en 1932 à la mort de son dernier meunier Toussaint Le Brozec dont la maison est au coin de la chaussée. Il fut de nombreuses fois arrêté et laissé à l´abandon, mais à partir du 18ème siècle, son importance liée à la croissance de la population, n´est plus contestée. Il possédait deux roues latérales à aubes dont les vannes sont encore visibles aujourd´hui. Il produisait en 1810 une dizaine de quintaux par jour. Une visite ultérieure du moulin permettra d´approfondir le fonctionnement de ce type de moulin qui fonctionnait en moyenne 6 heures par jour. Sa chaussée fut pendant des siècles la seule route unissant Trégastel à Ploumanac'h.
Le deuxième moulin situé en Ploumanac'h appelé le Moulin Rouge (Milin Ruz) à cause de la couleur de ses tuiles, ou moulin du Petit Traouiéro pourrait dater de 1476. Ces deux moulins à mer ont sans doute connu la même histoire car ils dépendaient tous les deux du seigneur du Cruguil en 1509. Pourtant leur période d´activité ne semble pas concomitante, même si en 1588 on remarque que les deux versent des fermages . Ni les cartes de Cassini de 1777, ni le cadastre de 1829, ne mentionnent ce moulin, sa chaussée et sa digue. En 1831 un certain Perrot, futur maire de la commune de Perros-Guirec, effectuait la demande d´édifier un moulin qui fut réalisé en 1839 pour moudre du grain jusqu´en 1898. En 1888 il fut acheté et agrandi par le boulanger Pierre Geoffroy et recouvert de tuiles. Il fut ensuite vendu pour 7000f en 1896 à Bruno Abdank, propriétaire du château de Costaeres qu´il venait de construire en 1893. Ingénieur de surcroît, celui-ci va transformer le moulin, en usine à glace en utilisant le procédé "Pictet" à anhydride sulfurique qui lui permit d'atteindre 450kg de glace à l´heure pour la conservation du poisson. Ce moulin possédait aussi deux roues latérales à aubes dont l´une est encore visible aujourd´hui. Les deux moulins à mer avaient la caractéristique d´être à pignon ouvert (c´est à dire avec une 1/2 façade en bois sur les côtés).
Le troisième moulin est le moulin à vent du Crac'h ou du Creac'h, parfois appelé du Randreuz comme le moulin à eau proche et dépendant également du seigneur du Barach. Il date de 1727 et fournissait jusqu´à 30 quintaux par jour. Son architecture est dite à coquetier ou à petit pied. Son emplacement lui aurait permis de fonctionner jusqu´à 240 jours par an. Abandonné comme tous les moulins de ce type avec l´avènement de minoteries à vapeur puis électriques au 20ème siècle, il sera remis en état grâce aux fonds d'un généreux donateur en 1986 et offert à la municipalité de Perros-Guirec.
Le quatrième moulin est le moulin à eau de Randreuz, qui dépendait du seigneur de Barac'h, lequel obligeait 69 ménages perrosiens à utiliser ce moulin suivant une carte de distribution des moulins bien précise pour l´ensemble des administrés. Certains, sans doute peut attiré par ce moulin lointain, furent punis d´amende par ce seigneur qui n´a pas laissé un heureux souvenir dans la région. Ses activités cessèrent en 1887. A partir de cette date, ces ruines de plus en plus fantomatiques dans ce décor fabuleux, furent le théâtre de légendes effrayantes qui lui valu le nom de "Moulin du Pendu" ou "Moulin hanté".
Le cinquième moulin est tout aussi inquiétant pour les mêmes raisons et s´appelle officiellement "Lost Logoden" (le moulin de "La Queue de Souris") ou "Moulin du Diable". Situé à Trégastel, il est dit appartenir au Comte de Lannion. Ses meuniers se sont succédés sans succès et les carriers ont finalement utilisé la force motrice de l´eau du bief pour forger les outils de perce dés le début du siècle dernier. La carrière proche est en effet l´une des plus importante extractrice de granit à cette date. Ce granite dit des Traouiëros avait une telle réputation qu´il fut choisi pour les 52 sarcophages de Douaumont.
Le sixième moulin est un moulin à vent classique dont on ignore l´histoire, sauf que le lieu Creach ar Kann peut évoquer le combat d´un comte de Lannion contre des brigants implantés sur ses terres pendant les guerres de la ligue (?). Il serait logique que le moulin lui appartînt comme le Moulin du Logoden, compte-tenu de l´importance de la famille de Lannion à Trégastel où il existe deux autres moulins de ce type, l´un au Guidern, l´autre à Kerlavos mais associé, cette fois, au Manoir du même nom. Quant au granit de Kerlavos, ce lieu fut exploité pour un gisement d´aplite, l´un des plus beaux et rares granites du monde rouge et orangé.