Un lieu de passage
Dans l'histoire de la vie de Saint-Lunaire écrite au 10e siècle, il est fait mention du village de Mortruc, de l'ancien breton mor-treug, traversée de la mer. Un port d’aumône y est cité en 1497 avec ceux d’Establehon (Ville-es-Nonnais) et Jouvente (Pleurtuit). Au 17e siècle, le commerce prospère au point que les dinannais pensent à y établir un octroi. Le service du bac s’y maintiendra tardivement, comme l’atteste un arrêté préfectoral du 2 juillet 1858 qui le transfert en amont du village, à la pointe située en face du rocher dit le Bouvet, à la Moignerie en Plouer-sur-Rance.
Un port naturel aménagé
Dans la première moitié du 19e siècle, entre 1817 et 1844 sont construits des quais, des levées et des chantiers sur des remblais à proximité du « Grand Moulin ». Ces chantiers privés étaient tenus principalement par des marchands de bois comme François Nourry, Jean Pommeret. Les gabarres, bateaux à fond plat spécialisés dans le transport des marchandises échouaient dans leurs souilles ou fosses privées plus ou moins profondes communiquant avec le chenal. Ces lourdes embarcations chargées à marée basse profitaient des courants montants et descendants pour transporter leur fret. Un article récent de Daniel Brandily fait mention de vestiges d’un quai plus ancien que la cale en place conçue en 1878.
Le commerce du bois et autres denrées
Les bateliers de Pleudihen étaient connus pour le transit des bois (surtout des fagots) et des pommes vers Saint-Malo, mais aussi pour le transport de la chaux. Le four de Mordreuc présent au début du 19e siècle fait partie des premières usines chaufournières sur les rives de la Rance maritime. En 1811, la chaux est vendue 13 à14 francs la barrique bordelaise, rendue au port de Dinan.
Le voisinage de la mer a facilité les échanges et le commerce et ce jusqu'au milieu du 20e siècle grâce aux aménagements successifs : la cale en épi a permis, à partir de 1876, de maintenir le trafic fluvial et l'entretien permanent du chenal à consolidé la navigation. Le rocher de la Moulière face au four à chaux a été dynamité dans la deuxième moitié du 19e siècle afin d'améliorer le passage. Néanmoins, les tarifs attractifs du chemin de fer et l'amélioration du réseau routier mettront fin progressivement aux chargements maritimes.
Le port de Mordreuc, comme celui du Lyvet (La Vicomté-sur-Rance), est aujourd'hui aménagé pour la plaisance.
Les noms de lieux
Plusieurs terres ont été gagnées sur la mer et le premier front de maisons était souvent immergé lors des fortes marées. Les noms actuels des voies retracent l'histoire maritime de ce village de Rance, passage du pêcheur, rue des Terres Neuvas, rue des Cap Horniers, chemin de la Gabarre Blanche. Cependant la plupart de ces désignations sont récentes. Anciennement chaque maison ou regroupement de maisons étaient connu par son appellation : le Bout d'en haut, la Fontaine Jean Thomas, Beausoleil, la maison du Murier, Le clos Boyau, La Grande Aire, la Cour aux Juifs, la Maison de Beauregard, la Rivière, La Petite Rivière, L'Hotel Briand, l'Ombrette, l'Ileau, la maison du Moulin...
L'orientation sud et la mitoyenneté de la plupart des anciens logis avec cour et jardin constituent une particularité des villages de ce territoire. Les activités des habitants, comme en témoignent les états de sections en 1844, étaient nombreuses : marchands de bois, négociants, tourneur, arpenteur, menuisier, charpentier, maçon, marin, douanier... Le cadastre ancien mentionne également au centre du village, mais éloigné des habitations, un ancien "doué" rectangulaire, mot gallo désignant un lavoir.
L'habitat
La topographie du site permet l'étagement de l'habitat formant de grandes lignes parallèles de niveaux décalés. Il suffit d'arpenter le chemin des pêcheurs pour entrevoir la forte déclivité du terrain. Les grandes maisons sont situées en hauteur à l'abri des crues et des fortes marées.
Les plus anciennes, comme celle de L'ileau remontent à la fin du 16e siècle avec des transformations plus tardives. D'autres sont datées par des chronogrammes sculptés : 1641, 1647, 1650, 1653, 1779, 1870, 1865, 1886 et témoignent de l'ancienneté et de l'évolution de l'habitat. Parmi les maisons mitoyennes de la rue du Petit Chemin, certaines ont conservé leur authenticité, pièce unique en rez-de-chaussée accessible par une belle porte en plein-cintre, grande cheminée de granite, dont la souche qui dépasse est parfois en pierre de taille des faluns, matériau reconnaissable par son grain coquillier et son décor standardisé qui s'est diffusé bien au-delà du gisement géologique. D'autres plus spacieuses à deux pièces en rez-de-chaussée sont également surmontées de vastes greniers. Un deuxième niveau supplémentaire de stockage a été aménagé dans la plupart de ces maisons qui pourraient avoir été couvertes de chaume avant leur transformation.
La plupart des maisons anciennes non mitoyennes sont des maisons de maitre, notables ruraux, marchands, négociants, capitaines. A partir du milieu du 19e siècle, on assiste progressivement à une transformation du bâti. En 1855, Mathurin Cordier transforme sa maison, en 1856, Charles Deniaux reconstruit la maison du moulin, en 1861 Joseph Ameline reconstruit le logis du Clos Boyau, en 1877 également François Pommeret et Pierre Desvaux en 1879 leurs logis au Bout d'en Haut, pour n'en citer que quelques exemples. Deux grandes maisons sur les hauteurs, l'une d'allure plus bourgeoise, les Brossis, l'autre de style villa implantée dans un vaste parc sont plus récentes et construites à l'extrême fin du 19e siècle ou au tout début du 20e siècle.