Dix dossiers individuels de maisons urbaines ont été réalisés sur les quelques 250 recensées dans la ville de Crozon. Plusieurs raisons expliquent la faiblesse de ce chiffre : les altérations importantes sur de nombreux édifices, la difficulté à entrer à l'intérieur des habitations pour les analyser, la répétitivité des modèles les plus récents.
Si les remaniements ont affecté l'authenticité du bâti et la lisibilité des structures d'origine, en revanche aucun plan d'alignement ou d'embellissement de la ville, courants à la fin du 18e siècle et au 19e siècle, n'a bouleversé le tissu urbain. La structure du noyau ancien de Crozon est issue de l'urbanisme médiéval avec ses places, ses parcelles, ses cours et ses venelles étroites.
CARACTERES HISTORIQUES
Les maisons portant une date de construction sont rares, le milieu urbain étant moins datant que le milieu rural. Les dates portées vont du début du 17e siècle (1608, 1630, 1634) jusqu'aux années 1930, cependant, la maison la plus ancienne remonte à la première moitié du 16e siècle.
Plusieurs périodes ont marqué de leur empreinte l'habitat urbain qui correspondent aux étapes importantes de l'évolution historique et économique de la ville. Aux 16e et 17e siècles, des maisons nobles s'établissent autour de l'église paroissiale dont il ne reste aujourd'hui qu'un exemple bien conservé (maison dite manoir de Pergamou, 23 rue de Reims) et quelques vestiges (1 rue de Reims, 1 rue de Poulpatré, 10 rue Alsace-Lorraine). Centre urbain de référence pour la presqu'île, c'est à Crozon que s'installent les hommes de loi (notaires, juge, officier seigneurial, procureur) ainsi que les prêtres et les marchands. Le bourg s'étoffe de maisons de notables construites sur la place de l'église et le long des rues adjacentes, complétées par des maisons d'artisans dont il reste très peu d'éléments. La pêche et le transport maritime assurant la liaison entre Brest et les villes du sud de la province ont généré des activités annexes à l'origine de richesses, telles que construction et réparation navale, artisanat mais aussi commerce.
Dans la seconde moitié du 19e siècle et au début du 20e siècle, des reconstructions sont réalisées in situ, sur l'emplacement d'édifices anciens. De nouvelles habitations sont également édifiées dans le prolongement de rues existantes : maisons avec ou sans commerce et immeubles de rapport sont édifiés rue Alsace-Lorraine, rue de Poulpatré, rue de La Chalotais, rue Louis Pasteur, rue Charles Levenez pour loger une population plus nombreuse. Quelques maisons bourgeoises, parfois imposantes, s'insèrent dans le tissu urbain (rue Alsace-Lorraine) ou sont construites le long de voies jusqu'alors peu bâties comme le boulevard de la France libre et la rue du Porzic.
A partir du début du 20e siècle, à la faveur des lois sur le logement social (lois Strauss, Ribot, Bonnevay, Loucheur), de petits lotissements sont créés à la périphérie de la ville. Les premières zones pavillonnaires apparaissent grâce à une politique d'accession à la propriété populaire avec des habitations bon marché dont les plans s'inspirent de modèles standardisés diffusés au plan national (rue de Dinan, rue du Yunic, rue de Nominoë...). Les zones pavillonnaires qui s'établissent au sud du bourg, entre Crozon et Morgat, englobent dans un large périmètre les hameaux de Landromiou, Kernalbet, Lesquiffinec jusqu'aux limites de la station balnéaire de Morgat. Le boulevard de la France libre et la rue du Porzic voient également la multiplication de pavillons dont l'architecture s'inspirent plus ou moins directement des maisons de villégiature. Par ailleurs, la construction du chemin de fer (entre 1910 et 1925) semble avoir favorisé l'émergence de nouvelles maisons près de la gare, rue de Nominoë, rue de la Marne, rue de la gare, de Camaret.
COMPOSITION D'ENSEMBLE
La quasi-totalité des maisons situées dans la partie centrale du bourg sont construites en front de parcelle. Les élévations principales donnent directement sur la rue ou la place. Parmi les habitations du 17e siècle, la cour arrière est souvent bordée sur un côté par un logis secondaire construit perpendiculairement au logis principal. D'autres cours sont fermées par des dépendances construites en retour d'équerre au-delà desquelles s'étend le jardin d'agrément. Aujourd'hui, certaines de ces dépendances sont détruites.
Les maisons sont mitoyennes, construites sur des parcelles plus ou moins étroites issues de la première occupation du sol urbain. La faible largeur sur rue est compensée par une profondeur marquée. Certaines de ces maisons sont séparées par des venelles étroites héritées de l'urbanisme médiéval.
Les parcelles larges sont le fait d'anciennes maisons nobles et de notables, ou témoignent d'une reconstruction après fusion de deux parcelles voisines. Souvent, les parcelles larges se trouvent à la périphérie du noyau ancien, elles concernent des maisons construites à partir de la deuxième moitié du 19e siècle. Certaines sont bâties en retrait de la parcelle avec un jardinet devant, ne sont pas toujours mitoyennes et possèdent une double orientation sur rue et sur jardin. Dans les zones résidentielles mises en place entre 1920 et 1940, le parcellaire y est large et aéré et les maisons, non mitoyennes ont une double orientation.
MATERIAUX ET MISE EN OEUVRE
La variété des matériaux utilisés dans l'habitat urbain donne au bourg de Crozon une tonalité particulière. La pierre locale, le grès armoricain, est omniprésente dans la mise en oeuvre des murs, utilisée sous forme de moellon irrégulier, grossièrement taillé étant donné sa dureté. La variété des pierres de construction est essentiellement visible dans les encadrements de baies, les chaînages d'angle, les corniches et les soubassements. Dès le 16e siècle, des pierres plus ou moins lointaines sont acheminées par voie d'eau. Parmi elles, deux roches extraites du fond de la rade de Brest sont particulièrement prisées : la microdiorite quartzique de Logonna, pierre blonde, associée ou non à la kersantite (ou kersanton) de teinte grise plus ou moins foncée. La rue de Poulpatré offre de nombreux exemples d'utilisation de ces pierres à des époques différentes. Il ne subsiste qu'une façade de maison (datée 1655), entièrement construite en pierre de taille de Logona, au 7 rue de Reims. A partir du milieu du 19e siècle, l'enduit sur les façades se généralise afin de mettre en valeur les encadrements de baies et autres éléments en pierre de taille. A côté de la kersantite, plusieurs sortes de granites sont utilisés, de provenances diverses (Locronan, Aber-Ildut, Huelgoat, Brennilis...).
ELEVATIONS, STRUCTURES ET DISTRIBUTIONS
La majeure partie des habitations, toutes époques confondues, possède un ou deux étages, surmontés de combles parfois habitables. Dès le 17e siècle, les élévations sont ordonnancées avec des travées, l'accent est parfois mis sur des lucarnes en pierre ou en bois, selon les époques de construction. Sur les maisons du 17e siècle, la majeure partie des lucarnes en pierre à fronton galbé ont été détruites au 20e siècle. Le 7 rue de Reims en conserve un bel exemple daté 1655. Les 14, 15 rue Alsace-Lorraine et 13 rue de Poulpatré possédaient de belles lucarnes à décor sculpté.
Dans le noyau ancien de la ville, les structures des maisons sont variées, elles résultent de l'époque de construction mais surtout de la forme du parcellaire. Du 17e siècle au début du 20e siècle, les édifices construits sur une parcelle étroite ont souvent une structure double en profondeur, prolongée par un ou plusieurs bâtiments construits en retour d'équerre sur l'arrière, autour d'une petite cour intérieure. Celle-ci fait office d'espace de distribution (rue de Poulpatré, rue de Reims, rue Alsace-Lorraine). Sur les parcelles larges, l'entrée des maisons est centrale, la structure est souvent moins profonde avec deux pièces par niveau situées de part et d'autre du couloir central qui mène à l'escalier.
La forme de l'escalier dépend de la date de construction de l'édifice. Dans les logis des 16e et 17e siècles, les escaliers sont en vis dans oeuvre (23 rue de Reims), ou hors oeuvre dans une tour d'escalier située sur l'élévation postérieure (1 rue de Reims, 1 rue Anne de Mesmeur, 1 rue de La Chalotais). Dès le 18e siècle, les escaliers ne sont plus en vis mais tournant à retour dans oeuvre.
Plusieurs logis doubles à étage sont construits à partir de la deuxième moitié du 19e siècle (5 et 7 rue Louis Pasteur, 13 et 15 rue Graveran). Une douzaine d'immeubles de rapport sont également bâtis à cette époque, le plus souvent à deux étages et entrée centrale ou latérale (rue Alsace-Lorraine, rue Poulpatré). D'autres structures sont inspirées par les hôtels urbains avec des habitations situées de part et d'autre et au-dessus d'un corps de passage, lequel sépare le bâtiment en deux parties distinctes (2 rue Graveran, 4 rue de Poulpatré daté 1910).
Les quartiers périphériques urbanisés à partir du 1er quart du 20e siècle sont lôtis de pavillons à étage (étage carré ou étage en surcroît) ou en simple rez-de-chaussée éventuellement surélevé surmonté ou non d'un comble habitable. Les façades sont variées, certaines se distinguent par la présence d'un fronton en forme de pignon percé d'une fenêtre qui rythme l'élévation principale. D'autres sont à pignon sur rue ou possèdent un avant-corps.
CONCLUSION
Crozon conserve, malgré un taux élevé de disparitions et de dénaturations, quelques maisons et immeubles de qualité. Il ne subsiste pas de témoins en pans de bois et de maisons antérieures au 16e siècle. Il est possible que certaines façades sur rue du 17e siècle aient été reconstruites sans toucher aux autres parties de l'édifice. Les rares visites d'intérieurs ne nous permettent pas d'en juger.
Le nombre élévé de maisons de notables au 17e siècle pour une agglomération de cette taille montre l'importance stratégique de cette ville dans la presqu'île et, au-delà, entre Léon et Cornouaille. Les quelques façades encore lisibles du 17e siècle montrent l'intérêt des commanditaires pour la création architecturale. En revanche, le 18e siècle et la première moitié du 19e siècle ont laissé peu de témoins architecturaux à la différence du milieu rural. La reprise de la construction est engagée à partir de la seconde moitié du 19e siècle, amorcée par l'édification de bâtiments publics (mairie 1850, presbytère 1873). Les façades de cette époque sont sévères et régulièrement rythmées, seulement animées par les encadrements, corniches, chaînages d'angle en pierres de kersantite, de microdiorite quartzique ou de granite. A une exception près (maison rue du Porzic), le style néo-gothique ou éclectique pas plus que l'esthétique Art Nouveau ne sont introduits dans la ville de Crozon, styles architecturaux réservés, semble t'-il, aux maisons de villégiature.
Les pavillons construits à la périphérie du centre urbain à partir des années 1920 sont réalisés par des entrepreneurs de maçonnerie qui proposent une architecture basée sur des modèles modestes et sériels représentatifs d'une partie de l'habitat urbain de l'époque.