• enquête thématique régionale, Architecture urbaine en pan de bois
Architecture urbaine en pan de bois de Quimperlé
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Dossier non géolocalisé

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  • Aires d'études
    Quimperlé

A la confluence de l'Ellé et de l'Isole, Quimperlé s'organise entre une basse et haute ville et se partage entre les pouvoirs de l'abbaye Sainte-Croix, fondée vers 1050 par le comte de Cornouaille Alain Canhiart, et celui du Duc de Bretagne. L'architecture en pan de bois se réparti indifféremment dans cet espace urbain, dans la zone close dès le 13e siècle comme dans les faubourgs, en fond de vallée comme dans les hauteurs. Ville-port, le commerce s'effectue depuis la Laïta vers la mer et contribue au dynamisme commercial et artisanal. Son statut la fait députer aux Etats de Bretagne dès le 15e siècle. Des reconstructions à l'issue de la guerre de succession au milieu du 14e siècle jusqu'aux projets urbains contemporains, le tissu urbain se renouvelle tout en conservant une partie de ce patrimoine fragile que constituent les maisons en pan de bois.

L’analyse d’archives anciennes de la fin du 17e siècle, confrontées aux programmes d’alignement et d’embellissement postérieurs (1774, 1822, 1928) permet d’envisager un corpus d’une centaine de maisons à pan de bois à la fin du 17e siècle, réparties entre basse-ville (environ 60) et haute-ville (environ 40), corpus limité aujourd’hui à une quinzaine d’unités. En effet, à Quimperlé les opérations successives d’alignement, d’élargissement et d’uniformisation des rues ont été particulièrement destructives pour les constructions en pan de bois, et ce jusque dans le dernier quart du 20e siècle. En 1794, alors que de nombreuses maisons ont déjà été abattues, l’écrivain et président du district de Quimperlé Jacques Cambry (1749-1807) écrit au sujet des maisons de l’actuelle rue Brémond d’Ars : « beaucoup d’entre elles sont un mélange de bois, de mortiers et de pierres brisées à la manière antique, elles nuisent à la régularité qu’on désire dans une aussi belle rue, mais elles détruisent une uniformité toujours ennuyeuse ». En 1927, l’inspecteur général des Monuments Historiques Charles Genuys (1852-1928) émet de nombreuses réserves au plan d’aménagement présenté par la municipalité de Quimperlé, en témoignant de sa « certaine émotion en constatant qu’à peu près toutes les maisons anciennes étaient frappées d’alignement ». Il répondait aux préconisations de l’ingénieur Troalen, qui estimait que « la plupart des vieilles maisons sont appelées à disparaître dans un avenir relativement peu éloigné et nous ne voyons pas le moyen d’éviter cette destruction ». Les réserves de la commission des M.H. aboutiront aux premières mesures de protection (1928, rue Brémond d’Ars, rue Paul Gauguin), mais les destructions se poursuivront jusqu’aux dernières décennies du XXe siècle.

Consciente des enjeux liés à ce patrimoine en termes de connaissances et de réappropriation, en particulier dans le cadre de sa politique de renouvellement urbain, la Ville de Quimperlé s'engage en 2020 aux côtés de la Région Bretagne et réalise quatre diagnostics sanitaires sur les 8, 10 et 12 rue Brémond d'Ars ainsi qu'au 15 Place Saint-Michel, dans le but d'accompagner les propriétaires vers des restaurations de qualité. La réalisation en parallèle de datations dendrochronologiques financées par la Ville et la DRAC sur ces quatre monuments ainsi que sur les deux bâtiments municipaux (7 et 9 rue Dom Morice) apporte un éclairage inédit sur la chronologie de ces maisons. La plus ancienne maison datée à ce jour en Bretagne par dendrochronologie se révèle être celle du 15 Place Saint-Michel dont l'abattage des bois suggère une mise en œuvre à la charnière des 14e et 15e siècle. La dynamique ainsi enclenchée se poursuit avec la mise en place d'une aide municipale spécifique à la restauration des maisons en pan de bois et d'une poursuite de l'accompagnement des propriétaires.

Ce dossier correspond à une première synthèse établie en 2024 et fera l'objet de compléments à l'issue d'une reprise complète du corpus des maisons en pan de bois de Quimperlé.

Consulter l'ensemble des notices et dossiers ici.

[Fanny Gosselin, Architecture urbaine en pan de bois en Bretagne, 2024]

Le corpus daté par dendrochronologie (7 datations entre 2019 et 2021) s'étend de la charnière entre le 14e et le 15e siècle jusqu'à la fin du 16e siècle. La maison la plus ancienne datée à ce jour en Bretagne pour du pan de bois se situe en haute ville, place Saint-michel (n°15). Ses bois ont été abattus entre 1394 et 1409 avec une phase de reprise en 1579. S'ensuivent trois maisons contemporaines du tout début du 16e siècle, deux rue Brémond d'Ars (n°10 : 1489-1500 ; n°12 : 1505-1506) et la troisième en haute ville (Maison des Archers, 7 rue Dom Morice : 1504-1505). Dix à vingt plus tard, l'Echoppe est construite (9 rue Dom Morice : 1514-1526, datation provisoire). La structure du 8 rue Brémond d'Ars, bien que semblable à ses voisines, est postérieure d'une cinquantaine d'années (1553-1554). Enfin, le 8 rue Savary présente une première phase de construction datée de la fin du 16e siècle (1580-1584, datation provisoire) suivie d'une reprise au 17e siècle (1693-1694).

Ces maisons témoignent d'une permanence de certains traits constructifs à Quimperlé sur plus de deux siècles à l'image de la simplicité du contreventement et de la localisation des décors, concentrés sur les entretoises, les consoles et le pourtour des baies. La documentation iconographique et archivistique donne également un aperçu des nombreuses maisons disparues au cours des mutations urbaines, notamment au cours des 19e et 20e siècles : place Lovignon, rue de l'isole, rue Mellac, place Guthiern/rue du Gorrequier, place Saint-Michel...

[Fanny Gosselin, Architecture urbaine en pan de bois en Bretagne, 2024]

  • Période(s)
    • Principale : limite 14e siècle 15e siècle, 16e siècle , datation par dendrochronologie

Traits communs et spécificités du corpus

Les maisons en pan de bois de Quimperlé abritent en majorité des activités marchandes au rez-de-chaussée, qui se traduisent par la présence d'étals (15 place Saint-Michel, 9 rue Dom Morice) ou de larges baies, lesquelles ont fait l'objet de nombreuses reprises en sous-œuvre au fil des siècles. L'implantation même de ces maisons, autour des places (Saint-Michel, Guthiern, etc.) ou le long des principaux axes de circulation comme la rue Savary qui relie haute et basse ville, la rue Brémond d'Ars ou les quais, souligne cette vocation. En revanche, la présence de maisons à porche, nombreuses dans d’autres centres urbains près des lieux d’échanges, n’a pas pu être décelée à Quimperlé. La Maison des Archers (7 rue Dom Morice) sort du lot car il s'agit d'un logis uniquement.

Ces maisons sont mixtes : pierre et pan de bois, lequel est réservé à la mise en œuvre d'une ou de plusieurs façades. Les murs abritent quant à eux les conduits de cheminée et les escaliers. Le rez-de-chaussée est maçonné soit dans son intégralité (ex. 7 rue Dom Morice), soit à minima par un mur-bahut (ex. 15 Place Saint-Michel). Les murs mitoyens peuvent être à l'aplomb (rue Brémond d'Ars), ou accompagner l'encorbellement de la façade comme au 9 rue Savary. Une maison aujourd'hui disparue présente une disposition originale avec un pignon principal rue de l'Isole et une importante lucarne en forme de pignon du côté de la place Carnot pour accompagner au mieux sa position d'angle (photo Cl. Furne et Tournier, 1857? Musée départemental breton, Quimper). La technique de l'encorbellement sur solives avec entretoises prédomine. Il existe néanmoins un exemple de porte-à-faux très important soutenu par des aisseliers au second étage du 2 rue Gauguin. Sur une carte postale figurant la rue Mellac, on peut observer par ailleurs un surplomb sur solives très important sans aisseliers visibles, formant auvent au-dessus d'un mur-bahut servant d'étals. Le contreventement des structures est simple : poteaux, écharpes, potelets et croix de Saint-André. Seuls deux bâtiments conservent des pièces disposées en chevrons (7 rue Dom Morice et 2 rue Gauguin).

L'éclairage est assuré par l'alignement de fenêtres de petites dimensions surmontées d'impostes et dont l'appui est souvent souligné par un lisse filante. L'agrandissement des baies au fil du temps a entraîné la suppression de ces claires-voies dont on devine cependant l'emplacement grâce aux mortaises vides, destinées à l'assemblage de l'appui, qui demeurent dans les poteaux (ex. 8 rue Brémond d'Ars, 2 rue Ellé). Au 9 rue Dom Morice, la composition de l'ouverture centrale évoque une fenêtre à croisée et meneau.

La distribution des pièces se fait globalement dans la profondeur de la parcelle comme au 12 rue Brémond d'Ars, qui comporte une pièce sur rue et une autre sur cour, desservies par un escalier à vis à double entrée implanté au milieu. La Maison des Archers (7 rue Dom Morice) se développe quant à elle dans la largeur : l'entrée principale donne accès à deux pièces chauffées, l'une à gauche et l'autre à droite, l'escalier se trouvent dans l'axe en façade postérieure. Ces deux bâtiments présentent par ailleurs la particularité d'avoir de petites pièces annexes à chaque étage. Un autre plan en largeur se retrouve au 2 rue Ellé : deux pièces chauffées se partagent l'espace, séparé par l'escalier incorporé dans le gouttereau du fond. Le 15 Place Saint-Michel, construit entre 1394 et 1409, présente une disposition interne originale avec un premier étage en partie sous charpente, une chambre "suspendue" occupant l'espace restant. Une distribution semblable a été identifiée sur une maison contemporaine au 17 rue Saint-Aignan à Angers (Maine-et-Loire).

Géométrique, figurative ou socialement signifiante : aperçu de l'ornementation extérieure

A Quimperlé, la simplicité du contreventement renforce l'attention portée aux décors sculptés sur les éléments principaux (sablières et entretoises, poteaux et consoles) et autour des baies (appuis et linteaux). Rez-de-chaussée et premier étage d'habitation reçoivent un traitement plus détaillé que les étages supérieurs lorsqu'ils existent. Ainsi, au 10 rue Brémond d'Ars, les entretoises du rez et de l'étage sont chanfreinées et moulurées avec des congés sculptés au premier tandis que celles du second étage ont un chanfrein et des congés simples. De même, les pigeâtres du premier étage sont taillés de façon tronconique et orné de bagues tandis que ceux du second semblent simplement dégrossis. Dans l'ensemble, les sablières sont peu ornées : de légers chanfreins moulurés sur la sablière basse répondent aux entretoises. Les linteaux de fenêtres peuvent s'orner d'accolades comme au 8 rue Savary ou au 4 rue Dom Morice, motif que l'on retrouve en intérieur sur les linteaux de porte de deux bâtiments contemporains (le 7 rue Dom Morice : 1504-1505 et le 12 rue Brémond d'Ars : 1505-1506). On peut par ailleurs rapprocher le style des cheminées du 12 rue Brémond d'Ars (1505-1506), 7 rue Dom Morice (1504-1505) et 2 rue Ellé.

La présence d'écussons, sculptés dans la pierre ou le bois, signale le statut social du commanditaire autour des baies : console sculptée d'un personnage avec écu (7 rue Dom Morice), potelet orné d'un écusson et écu sculpté dans le mur gouttereau (9 rue Dom Morice), ange présentant une armoirie mouchetée de trois hermines (2 rue Gauguin), pigeâtres sculptés de petits écus encadrant les baies de l'étage (4 rue Dom Morice).

Un corpus figuratif remarquable est par ailleurs conservé au 2 rue Gauguin, maison qui jouxte l'église Notre-Dame-de-L'Assomption et Saint-Michel: une femme nue sous une baie, l'ange portant les armoiries ducales en tête d'un poteau soutenant l'encorbellement et un personnage auréolé sur un poteau du rez-de-chaussée. Dans un registre "Renaissance", les têtes de poteaux du 4 rue Dom Morice s'ornent de visages : à boucles et collerette, à barbe et moustache, à plumes ou ailes...Un personnage en pied en costume civil est également sculpté sur un poteau cornier du 9 rue Dom Morice.

Enfin, s'il n'en reste guère de traces, il faut garder en mémoire le fait que ces maisons étaient peintes et que la polychromie venait très probablement souligner les décors sculptés.

[Fanny Gosselin, Architecture urbaine en pan de bois en Bretagne, 2024]

Bibliographie

  • SOCIETE D'HISTOIRE DU PAYS DE KEMPERLE. Prestige d'une cité bretonne : Quimperlé , les rues du château et du Gorréquer. Bannalex : Imprimerie Régionale, 1990.

    Région Bretagne (Service de l'Inventaire du patrimoine culturel) : 29 QUI
  • INVENTAIRE GENERAL DES MONUMENTS ET DES RICHESSES ARTISTIQUES DE LA FRANCE. Région Bretagne. Quimperlé et son canton. Finistère. Collection Images du Patrimoine n° 217, Rennes, 2002.

Date(s) d'enquête : 2023; Date(s) de rédaction : 2023, 2024