Dossier d’œuvre architecture IA56132205 | Réalisé par
Lécuillier Guillaume
Lécuillier Guillaume

Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.

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  • enquête thématique régionale, Inventaire des héritages militaires en Bretagne
Salle du treuil du slipway du bunker "KI" avec son treuil de hissage (Lorient)
Œuvre étudiée

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton France - Lorient Centre
  • Hydrographies Rade de Lorient Ter (le)
  • Commune Lorient
  • Lieu-dit Bunker "KI" Presqu´île de Keroman
  • Adresse rue du Commandant-L'Herminier
  • Dénominations
    blockhaus, édifice logistique

Dans cette salle de la base de sous-marin de Keroman, toute proche du slipway du bunker KI, le temps est comme suspendu. Le treuil et ses différents organes installés dans l’été 1941 sont en effet encore en place. Le treuil a fonctionné d’aout 1941 (remontée du Unterseeboot 123 de type IX B) à juillet 1995 (remontée du sous-marin Flore - S645). Ces équipements baignent cependant partiellement dans l’eau depuis la fermeture de la Base de sous-marin en 1997.

Le treuil était indispensable au fonctionnement des bunkers Keroman I et II construits par l’Allemagne nazie pour abriter douze sous-marins (cinq dans le bunker KI ; sept dans le bunker KII). Il permettait de hisser le chariot du slipway sur lequel était échoué volontairement le sous-marin pour sa mise au sec : à Petite vitesse, le treuil pouvait relever 3 300 t, et à Grande vitesse 1 103 t (un Unterseeboot type VIIC pèse 781 t non armé). Dès la Libération de la Poche de Lorient le 10 mai 1945, la base et ses techniques avancées intéressent les alliés qui en dressent les plans détaillés.

En raison de son intérêt historique mais aussi scientifique et technique, la salle du treuil, le treuil et ses organes - y compris les plus récents (des installations électriques) - méritent sans aucun doute une protection au titre des Monuments historiques. Cette protection est d’autant plus indispensable qu’elle permettra d’enclencher le nécessaire processus de restauration et de conservation. La base de sous-marin de Keroman est labélisée "Architecture contemporaine remarquable".

A La Rochelle, le slipway du Bassin des Chalutiers construit à l’extrémité sud pour l’entretien des Schnellboote (vedettes rapides) et des chalutiers réquisitionnés par l'Occupant a fonctionné jusqu’en 1997. Il a été classé au titre des Monuments Historiques en 2002.

Le treuil de hissage du chariot du slipway peut également être considéré comme un objet mobilier, ici la dénomination serait "matériel de levage". Volontairement, nous avons choisi de ne pas dissocier le treuil de la salle du treuil.

Dès juin 1940, Lorient est choisie comme base de sous-marins de l’Atlantique pour attaquer les convois ravitaillant les Îles Britanniques. Le 25 octobre 1940, la construction des U-Boote-Bunkers est programmée par Hitler et l’amiral Dönitz. Leur objectif est d’augmenter la disponibilité des U-Boote pour la Bataille de l’Atlantique. Durant le conflit, 1250 sous-marins ont été mis en service par l’Allemagne nazie. Sur 1149 carénages de sous-marins effectués en France, 492 le sont à Keroman.

Le bunker Keroman I a été construit entre février 1941 et septembre 1941 (7 mois) en employant plus de 160 000 mètres cubes de béton. Après l’isolement du chantier de la mer par des batardeaux profondément enfoncés dans le sol, le slipway a nécessité le creusement d’un bassin à plus de 12 m en-dessous du niveau zéro des marées puis l’édification d'une dalle, de murs et enfin de la dalle de couverture. Installé dans l’été 1941, le treuil permettait de hisser le charriot sur la pente à 10 % du slipway. Arrivé en haut du slipway, le chariot-tracteur prenait le relai pour remorquer le sous-main sur l’aire de translation.

Dès le 25 août 1941, le U123* est hissé grâce au treuil alors que l'inauguration officielle du bunker Keroman I n'a lieu que le 1er septembre 1941. Dès lors, l’installation fonctionne à plein régime : un mouvement de sous-marin - mise au sec ou à l’eau - dure en moyenne une heure. En avril 1943, 27 U-Boote sont en escale simultanément à Lorient. Le dernier sous-marin à quitter Lorient est le U155 le 9 septembre 1944. Le bunker Keroman I aura fonctionné durant 36 mois.

Dès la Libération de la Poche de Lorient le 10 mai 1945, la base et ses techniques avancées intéressent les alliés qui en dressent les plans détaillés. Le 19 mai, la Marine nationale française réinvestit la base rebaptisée l’année suivante Base de sous-marins ingénieur général Stosskopf. Deux plans (K601 et K602) et un schéma dressés en septembre 1945 permettent de comprendre le fonctionnement du système du treuil : ils reprennent des plans allemands.

Une photographie non datée, conservée dans les collections des archives municipales de Lorient (voir lien), montre la salle du treuil et le treuil de hissage dans sa période de fonctionnement. Deux loges superposées, vraisemblablement destinées aux mécaniciens du treuil, sont visibles au fond de la pièce. On accède à celle du haut par un petit escalier.

Toujours affichée dans la salle du treuil, une circulaire de l’ingénieur Debray, daté du 2 janvier 1963, fait des recommandations pour assurer le bon fonctionnement du treuil suite à des avaries de paliers survenues en 1962. Elle évoque : l’ouverture indispensable des graisseurs une demi-heure avant la mise en route du treuil et la surveillance du niveau des godets (la baisse de niveau attestant du bon fonctionnement du graisseur) ; la vérification du graissage des paliers et le "balancement du treuil en avant et en arrière" ; la vérification des graisseurs en cours de fonctionnement ; la manœuvre du treuil tous les huit jours en cas de non-fonctionnement pendant une période assez longue (un tour en avant et arrière) et la modification des ergots des paliers pour faciliter leur remplacement.

Dans les années 1970-1980, deux grands tableaux électriques sont installés dans la salle du treuil.

Le 12 juillet 1995, le treuil est utilisé pour la remontée à sec du sous-marin Flore - S645. Ce fut le dernier mouvement du slipway de la base de Keroman inauguré le 1er septembre 1941.

L’association Musée de l'Escadrille des sous-marins de l'Atlantique conserve dans ses collections un câble de rechange du slipway sur sa bobine d’origine. 

*Le U123, récupéré comme prise de guerre en mai 1945 par les Américains dans l'une des alvéoles de Keroman I, deviendra le Blaison (Q165) le 23 juin 1947 dans la Marine française.

  • Période(s)
    • Principale : 2e quart 20e siècle , daté par source
    • Secondaire : 2e moitié 20e siècle
  • Dates
    • 1941, daté par source

Le treuil de hissage du chariot du slipway est installé dans une salle dédiée situé immédiatement à l’ouest de l’alvéole du slipway dans le bunker Keroman I (à l’extrémité nord, du côté de la porte blindée et de l’aire de translation). Cette salle est dotée de deux accès : le premier, depuis l’alvéole du slipway, est doté de deux portes coulissantes en bois ; le second, depuis "l’atelier de chaudronnerie" (ensuite magasin puis, atelier du Port de La Base de Lorient) est doté d’une double porte donnant accès à une plate-forme dominant la salle du treuil. Ce dernier accès a été modifié après 1945.

Afin de permettre le passage optimum des deux câbles du chariot du slipway, les tambours du treuil sont implantés en-dessous du niveau du sol de la base. Les câbles passent par deux longues ouvertures, puis sous le sol de l’atelier de la chaudronnerie (dans deux gorges évasées) et sont renvoyés par un système de pouliage vers le charriot. Un escalier droit donne accès à la salle.

Pour éviter l’inondation de la salle du treuil à marée haute par grands coefficients de marée, le treuil et ses différents organes sont fixés sur un châssis constitué de poutrelles métalliques disposé au-dessus du niveau du sol bétonné. La pièce est en outre dotée d’une pompe électrique d’asséchement de 17 ch. tournant à 1450 tours/min avec un débit de 50 L/min. Les poutrelles métalliques sont boulonnées entre elles et doté d’un platelage composé d’épaisses planches de bois permettant un accès aisé aux organes du treuil.

Le moteur électrique de 220 ch. des Ateliers de constructions électriques de Charleroi – ACEC (mais est-ce bien le moteur électrique d’origine ?), alimenté en triphasé, tourne à une vitesse de 715 tours/min (données techniques de 1945). Il entraîne l’arbre moteur avec un pignon à son extrémité (roue de 228 mm, à 38 dents). Cet arbre peut être ralenti voire stoppé par un frein à lame dit à tambour.

Le pignon de l’arbre moteur entraîne l’arbre de l’embrayeur par une roue (912 mm, à 152 dents). Il est doté de deux pignons - le premier, le plus grand (660 mm, 30 dents) pour la Grande vitesse ; le second, le plus petit (280 mm, 14 dents) - pour la Petite vitesse avec au centre l’embrayage.

Une roue, au choix - l’une pour la Grande vitesse (840 mm, 42 dents) ; la seconde pour la Petite vitesse (1160 mm, 58 dents) entraîne l’arbre n° 1 avec à son extrémité un pignon (360 mm, 12 dents). Cet arbre peut être également ralenti voire stoppé par un frein à tambour. Le pignon de l’arbre n° 1 entraîne à son tour l’arbre n° 2 via une roue (1800 mm ; 60 dents) : l’arbre se termine à chacune de ses extrémités par un pignon (456 mm, 12 dents).

Viennent ensuite les deux roues (2736 mm, 72 dents) de l’arbre principal relié aux deux tambours de 2 m de diamètre sur lesquels sont enroulés les câbles du chariot du slipway. Les câbles qui mesurent 52 mm de diamètre ont une longueur de 460 m et de 468 m (la longueur diffère légèrement à cause du parcours du câble). Les tambours sont dotés d’une gorge ; chaque tour permet d’enrouler 6,28 m de longueur de câble.

L’ensemble fonctionne grâce à quatre leviers de commandes mécaniques encore doté de leur plaque : Frein tambour, Embrayage, Frein moteur ; Petite vitesse ou Grande vitesse.

Un rhéostat à main (c’est-à-dire, une résistance électrique réglable, intercalée dans le circuit, permet en outre de modifier l'intensité du courant) permet de faire varier la vitesse du moteur électrique.

Enfin, montée sur un portique comprenant en son centre une longue vis filetée reliée à l’arbre principal par trois arbres et engrenages (pignons et couronnes à 90 degrés), une pièce suspendue et mobile suit la progression du câble et enclenche, arrivée à l’extrémité de la vis (lorsque le chariot est arrivé en position haute), un interrupteur à butée qui coupe l’alimentation électrique du moteur.

L’ensemble du mécanisme est protégé par des carters dont certains portent l'acronyme M.A.N. de la marque allemande Maschinenfabrik Augsburg-Nürnberg.

Grâce à ce système comprenant au total six pignons et six roues dentées, le moteur électrique peut donner deux vitesses aux câbles : en Grande vitesse, 26,7 m/min et à Petite vitesse 9 m/min, ce qui correspond pour le chariot avec la démultiplication par pouliage à 8,9 mm/min et 3 m/min.

A ces vitesses, la traction exercée sur les câbles au centimètre, est de 55 tonnes à Petite vitesse et de 18,5 à Grande vitesse. Le treuil pouvait ainsi relever 3 300 t à petite vitesse et 1 103 t à grande vitesse (un sous-marin de type VIIC pèse 781 t non armé).

Afin de permettre l’installation et la manutention des organes du treuil, la salle est dotée de deux ponts roulants manuels à chaîne. Des pièces de rechange et des outils sont encore fixés au mur Est côté slipway : roue dentée, clés et cric manuel. A côté, un équipement fixé sur le mur - reconnaissable à sa bouche de soufflage - permettait la ventilation de la pièce. Juste en-dessous, un extincteur est resté accroché au mur.

La salle (en partie haute, à l’opposé de la porte d’entrée) est traversée par une galerie et un escalier fermés par une cloison permettant l’accès à un niveau supérieur sur plancher.

Etat en 2023

Le système de pouliage et de renvois vers le chariot du slipway a été condamné (coulé dans le béton).

Les câbles électriques permettant l’alimentation du moteur du treuil ont été coupés tout comme les autres installations électriques de la base.

Le platelage en bois a été en grande partie démonté : l’évolution autour des différents organes du treuil se fait désormais sur les poutrelles métalliques ou les quelques planches de bois subsistantes du platelage.

La pièce est inondée sur 40 cm de profondeur environ et le bas des tambours baigne dans l’eau (le niveau varie selon les saisons). L’assèchement de la pièce - sans mesure conservatoire des pièces métalliques - est à éviter : il entraînerait une dégradation rapide de l’installation.

  • Murs
    • béton béton armé
  • Toits
    béton en couverture
  • État de conservation
    bon état, désaffecté, menacé
  • Techniques
    • peinture
  • Statut de la propriété
    propriété d'un établissement public intercommunal, édifice appartenant à la Lorient-Agglomération.
  • Intérêt de l'œuvre
    vestiges de guerre, à signaler
  • Éléments remarquables
    blockhaus, édifice logistique
  • Précisions sur la protection

Date(s) d'enquête : 2023; Date(s) de rédaction : 2023
(c) Région Bretagne
Lécuillier Guillaume
Lécuillier Guillaume

Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.

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