Histoire maritime de Saint-Jacut-de-la-Mer

D'après les nombreux témoignages collectés lors de nos enquêtes orales de 1998 et de 2007-2008 et les études de l'association "Les Amis du Vieux Saint-Jacut".

Pêches côtières et pêcheries

Selon les études de J. C. Ménes, de J. F. Carré et de M. Le Chapelier (association 'Les Amis du vieux St-Jacut'), depuis le 12ème siècle, les Jaguens occupent en alternance saisonnière, trois activités : ils sont laboureurs, pêcheurs à pied et pêcheurs de mer. En l'an 1700, ils exploitent 27 pêcheries, propriétés de l'abbaye, et tendent leurs filets sur les grèves, mais commencent à épuiser leur baie. Au 18ème siècle, la pêche côtière prédomine sur la pêche à pied, grâce au maquereau de ligne et d'affare. En 1726, l'inspecteur des pêches, Le Masson du Parc, dénombre 76 pêcheurs 'de mer et de pied'. La pêche côtière embarquée se développe avec les cordes à congres, les roussetières et les folles, alors qu'à terre les seines, les tressures, les raies de pied représentent une pratique commune.

Au 19ème siècle, les Jaguens sont de purs 'pouéchous' (pêcheurs) en mer, avec leur 'bâ' (bateau). En 1854, les pêcheries ne servent plus qu'à la boëtte. Ils n'y prennent que de la 'menuse' (frai de crevette) ou 'm'nuse' (A.N., CC/435). Cependant, plusieurs Jaguens (Loraine, Carré et Hesry) sollicitent du ministre l´autorisation de construire de nouveaux parcs à huîtres, ceux existants, appartenant à l'abbaye, étant insuffisants pour contenir le produit des dragages. Au début du 20ème siècle, il subsiste encore quelques pêcheries ainsi qu´un parc à huîtres sous la 'Petite Roche'. Celui-ci est surveillé par une Jaguine. Pendant la première moitié du 20ème siècle, une partie des habitants pratiquent toujours la pêche en mer. On compte 38 bateaux en 1930. En 1960, la conchyliculture s'empare en partie du territoire des bassiers. Les bouchots à moules remplacent les dernières pêcheries dont on peut encore apercevoir les traces à grande marée, comme celle en pierre des Piattes et celle en bois de la baie des Quatre-Vaux, près des Ebihens.

L'insularité des Jaguens a certainement participé au maintien de certaines traditions littorales et à l'usage du parler jaguen, dont il subsiste encore des traces, notamment au niveau du vocabulaire maritime, des expressions, des proverbes, auprès de la population âgée de St-Jacut.

L'exploitation des ressources minérales de la mer

L'accès à la presqu'île de Saint-Jacut ('Saint-Jégu' en gallo) et aux marnières de Beaussais est resté longtemps difficile pour les paroisses environnantes, de Corseul à Ploubalay. Les estuaires n'ont pas toujours été que des frontières entre deux 'pays' mais aussi des lieux de passage, de transit, en se méfiant des trous d'eau ('talars', en gallo). Par l´Arguenon, on remontait en bateau des chargements de marne jusqu´à Plancoët. Les carrières marines du Chef de l'Isle ont fourni les pierres de construction pour les écluses, les viviers, les parcs. Ainsi, la nouvelle école communale de Saint-Jacut a été bâtie avec les pierres venant de la 'Grande Roche'.

La richesse du vocabulaire maritime jaguen

Si le canton de Ploubalay, dont fait partie Saint-Jacut-de-la-mer, compte aujourd'hui davantage de cultivateurs que de marins en activité, les grandes marées font naître de nouvelles vocations, comme celle de 'guide de pêche à pied'. Les anciennes cartes marines aquarellées dessinées par 'Judas' dans les années 1950 sont encore utiles pour trouver les 'bons coins' pour poser des lignes à cong (congre), à 'fouet' (anguille) et à barcet (petit bar). Néanmoins, les empis en chanvre (bas de ligne) pour les cordes ne sont plus utilisés, ainsi que le crin de cheval et les brocs d'épine pour faire les haims (hameçons). Les filets de barrages et les pêches à la songne (bas de ligne) sont interdits. Cependant, les lignes de fond sont soumises à autorisation. En hiver, dans la 'rivière' de l'Arguenon, on peut croiser les pêcheurs professionnels de coques, les derniers 'pêcheurs nomades', avec leur 'bicyclette porte charge' pour transporter les coques en pouche (en poche). Les Jaguens se rappellent 'l'âne Poupon' du dernier pêcheur des Ebihens. Quant aux Jaguines, elles allaient autrefois en couple faire leur 'mannequin' de coques en baie de la Fresnaie et en baie de Saint-Bérieu (Saint-Brieuc). Les coquoères ('pêcheuses de coques') dansaient ou pilotaient comme les mouettes dans la fouérette (vase molle) pour faire monter les coques, ramassées à la main, sans râteau. Parfois la concurrence était vive avec les bourdinaux de Saint-Cast ou les femmes d'Hillion qui les provoquaient avec leur cocoué ou faucille, rapporte Michel Duédal, ancien syndic des gens de mer : J'va la déberloquer, ta sale goule, o l'fond de mon panier ! . Pour le ramassage des mançots (couteaux), elles utilisaient parfois le mançotoué, une simple baleine de parapluie en acier recourbé. Les m'nis (berniques) et les brigaux (bigorneaux) sont aussi appréciés quand les coques sont en jarre ou glavouses (en laitance). Mais attention aux dards des guilris (les vives), au bave de l'iau, dont la douleur s'atténue si on pisse sur la piqûre.

Selon les saisons, on peut pratiquer des marées aux palourdes, aux coq' rayées (praires), aux coques, équipé d'une simple cuillère, aux huîtres à l'unité avec un vieux ciseau à bois, aux moules de roche en torche avec un moulié. La pêche aux lançons de nuit avec une lançonnière, sorte de houe (houette en gallo et muré ou marr en jaguen), est aussi possible. Mais il faut aussi se méfier de la breume (brume) et de la grand' mé (marée). A cette occasion, on vous racontera peut-être l'histoire des noyées de l'Ormelière à la fin du 18ème siècle : trois femmes parties pêcher des ormeaux sur un rocher qui ne délasse jamais (qui n'est jamais submergé), isolé en mer face à Saint-Briac. Lorsque la tempête se leva et empêcha les bateaux d'aller les chercher, l'une d'elle noua ses cheveux aux radouilles (laminaires), pour que l'on retrouve son corps plus tard.

Les pêches côtières à Saint-Jacut de l'Ancien régime au 19ème siècle

La pêche en mer à Saint-Jacut remonterait à l'année 1538 : les marins pêcheurs Hervé, Lemasson et Robert étaient alors propriétaires de leurs bateaux et pêchaient de la baie de l'Arguenon à Saint-Briac, au moyen de rets et filets. Sous l'Ancien Régime, les marins devaient verser une dîme aux moines de l'abbaye sur le poisson pêché : ils devaient pêcher pour l'abbaye le jour de la saint Jacut en échange de quoi ils obtenaient du vin. En effet, les moines possédaient la terre, si bien que le Jaguen, s'il cultivait un petit lopin de terre pour l'orge (appelé paumelle) et les légumes, n'avait d'autre alternative que de travailler directement pour l'abbaye ou de s'engager dans la marine de l'Etat, pour la guerre de courses, au commerce ou sur les navires de grande pêche. Ceux qui avaient choisi les pêches côtières draguaient pendant l'hiver, à bord de leurs dragous, les bancs d'huîtres à l'entrée de l'anse de Lancieux et au nord de l'île des Ebihens. Ils pratiquaient au printemps les folles ou chalut, les cordes à bord des grands glaos ou carrés, pour pêcher les raies, les turbots et les soles, sur le banc de l'Etendrée. Les poissons étaient expédiés ensuite à Saint-Malo ou à Rennes. Les pêcheurs à pied posaient aussi des lignes de fond (maesent des cordes en parler jaguen), sur les vasières.

Au milieu du 19ème siècle, la pêche du maquereau représente la première production de pêche des Jaguens, on l'appelle la maquerlasôn, la saison du maquereau. Elle a façonné la vie sociale des Jaguens, apportant tour à tour abondance ou misère (nommée "la pitié" par les Jaguens). Sur une population de 1000 habitants (dont la moitié de moins de 18 ans), 175 hommes sont embarqués pour cette pêche sur 30 bateaux qui s'éloignent rarement à plus de 5 miles de la côte.

En 1860, le commissaire du quartier maritime de Dinan dont dépend Saint-Jacut, rapporte que la pêche côtière n'a une véritable importance que sur le littoral de Saint-Jacut. Elle entretient 22 bateaux montés par 125 hommes qui souvent se réunissent au nombre de 5 ou 6 pour en faire l'acquisition. Quelques-uns vont jusqu'à 25 milles au loin pour pêcher, à l'aide de folles, des raies et des turbots. Le plus grand nombre s'adonne à la pêche au chalut. Les produits sont vendus publiquement sur place. Le montant des ventes est divisé en autant de parts qu'il y a d'hommes d'équipage par bateau. On peut constater une certaine 'modernité' dans cette organisation sociale de la pêche, qui fait appel à des quirataires pour la propriété du bateau et des engins de pêche. Cela n'était pas fréquent dans les autres ports bretons.

A bord des bâts macrotiers, les rôles dans l'équipage étaient bien définis : il y avait les matelots, appelés lotiés (en rapport au lot de poisson), dont le fruit de la pêche constituait leur salaire et les pouchiés, qui travaillaient pour leur compte en rétrocédant au patron une partie de leur pêche. Il faut encore considérer les affarous, qui fournissaient l'affare, l'appât pêché et préparé par les chevrinouères, qui travaillaient sous leurs ordres. Les affarous avaient aussi pour fonction de fournir l'affare adapté aux conditions de temps et de mer : le chevlin, la bouëtte de coquillages écrasées.

Les différentes pêches embarquées : temoignage de Jean-Baptiste Lemoine

Sources orales : Jean-Baptiste Lemoine, 1994. Témoignage en partie re-transcrit dans le journnal municipal "Le Jaguen".

L'hiver, c'était la pêche aux congres. Elle se faisait en général par temps froid, de préférence la nuit ou au petit matin, les lignes bouëtées avec des encornets, dits 'konnets' que nous allions pêcher le long de l'île Agot ou au Cap et dans ses environs, comme 'la Cierge', de préférence près du Fort la Latte. C'était le lieu favori et privilégié pour les 'grandes compagnies' ou 'bancs' d'encornets. Cette pêche à la turlutte se pratiquait à la pointe du jour, traînant nos lignes par 5 ou 6 brasses de fond, avec un léger balancement de la ligne. C'était une boëtte exceptionnelle pour tous les poissons, surtout pour le congre et le maquereau.

Au printemps, on tentait le poisson noble : le turbot, pêché sur la Banche du Cap, de la 'Mas', plus rare mais plus gros, sur le banc de 'la Faucille', au large du Cap Fréhel, plus nombreux mais aussi plus petits. Cette pêche se pratiquait en mortes-eaux, le courant étant moins fort, ce qui nous facilitait la tâche pour maintenir nos lignes en bonne position sur les fonds sablonneux des bancs. Les cordes étaient gréées de neuf avec des haims à morues et bouétées de lançonnets ou de mnuses, des pouëcheries d'aval et d'amont (sic) .

Extrait du rapport de l'inspecteur des pêches Le Masson du Parc à St-Jacut en 1726

En 1726, Le Masson du Parc indique dans son rapport : Il y a à Saint-Jacut dix bateaux pescheurs du port de 4 à 5 tonneaux, de cinq, six à huit hommes d'équipage qui font pendant l'année, hors le temps de la moisson et de la culture des terres, les pesche. Le nombre de bateaux pescheurs a augmenté depuis 20 ans dans ce lieu ; autrefois et de mémoire d'homme, il n'y avait que quatre bateaux, ainsi ils ont doublé de la moitié au moins.

On en déduit que jusqu'à la fin du 17ème siècle, il y avait peu de bateaux de pêche à St-Jacut.

A partir du registre des classes entre 1729 et 1738, on dénombre 94 personnes occupées à la pêche ; cependant les guerres successives à la fin du 18ème siècle, vont réduire la flottille à une douzaine de bateaux armés par environ 60 marins. Toutes sortes de pêches sont pratiquées au cours du 17ème siècle, cependant, la pêche du maquereau semble être la plus active et la plus rémunératrice, quoique elle commence à décliner à la fin du 17ème siècle. Le maquereau salé était vendu à St-Malo mais subissait la concurrence normande. Cette pêche aida à financer la construction de l'église de Saint-Briac à partir de 1671.

Extrait du témoignage oral de Pierre Aubin sur la technique de pêche au maquereau à l'affare, 13 février 2008

Pour la pêche au maquereau, les bateaux étaient rangés en "haa" : "une haa de batiaux", que l'on peut traduire par une "haie de bateaux", mouillée sur la tenue ou la "touée" avec une grande longueur de mouillage (avec un ancret, ancre rustique lestée avec une pierre), face à St-Cast.

Chaque matelot avait 2 lignes en crin de cheval (de couleur noir et blanc selon la hauteur d'eau), le premier bateau faisait la trace en jetant la boëtte de chaque bord, le poisson venait toujours à la même heure. Lorsqu'il n' y avait pas beaucoup de maquereau, les marins épluchaient à babord. Ils équerpaient (écartaient) la ligne à 4 brasses. Lorsque le poisson montait, on utilisait la ligne à 8 brasses, avec une brasse de blanc à l'intérieur du bateau. Au prime flot, on pêchait le lieu sur le vieux banc du Cap (les basses du Cap). Cette pêche aux maquereaux se pratiquait dès la fin du mois de mars sur les bancs, la Banche du Cap (les lançons venaient du Cap), la 'menuse' vive rentrait dedans, la petite aillette (petit poisson) venait plus facilement à la côte. Il fallait parfois 'épusser' (écoper) le 'haut sa', le 'housseau', le puits ou trou d'eau au fond du bat (bateau). Au-dessous du tillac, il y avait un endroit cimenté entre les varangues, le 'trou à maquereaux', qui servait de vivier pour conserver les maquereaux au frais. On pouvait aussi bourrer le poisson de papier mâché dans la gueule pour le faire paraître plus gros. L'avant du bateau creux était appelé 'la gatte'. L'équipage était composé de 4 hommes plus 2 mousses). La pêche se faisait de l'arrière avec deux pêcheurs, le meilleur pêcheur était à l'affare (Marie-Ange Paitry, le meilleur affarou), le patron jetait la bouëtte à tribord et le 4ème pêcheur à babord.

A bord, chaque homme d'équipage avait son poste : le brigadier s'occupait des focs à l'avant (où était la gatte) alors que le patron était à la barre, près de la tille. Les bâts revenaient à la Houle Causseule à mi marée ou au port du Châtelet avec la bonnette lorsque le vent poussait. Les mareyeuses attendaient les bateaux et les marins à qui elles achetaient indifféremment les maquereaux par centaines. A partir de 1941, la présence des soldats allemands a modifié le fonctionnement : chaque mareyeuse ne pouvait acheter que 50 kg de poisson par bateau, alors que les pêcheurs faisaient régulièrement des pêches de 400 kg.

Naufrages et drames en mer

De nombreux naufrages ont endeuillé la communauté maritime jaguine à partir du 18ème siècle, où les récits de ces naufrages ont été recueillis par la tradition orale, ou consignés dans les registres paroissiaux.

En particulier, on a relevé les cadavres de cinq personnes noyées, lors d'une pêche aux ormeaux, le 5 mars 1784. Parmi ces victimes, il y avait 4 femmes, toutes pêcheuses à pied, originaires de Saint-jacut (en pêche aux ormeaux), abandonnées sur le rocher de l'Ormelière (Rochefort sur les cartes marines), parce que la tempête ne permit pas au navire venu les chercher, d'accoster. Ces pêcheuses avaient pour noms : Marie Richard, Françoise Allain (dont le corps ne fut jamais retrouvé), Marie Robert, Jeanne Bourget et Jacques Maitrallain. La légande rapporte (selon Jean-Baptiste Lemoine) que ces victimes s'étaient attachées les cheveux aux algues des rochers pour ne pas être emportées par le flot. Jean Richepin conte la fin de cette tragédie dans l'un de ses romans.

Dans le registre paroissial est aussi consigné en date du 18 février 1807, le naufrage du corsaire 'La Clarisse' de l'escadre de Robert Surcouf, daté du 18 février 1807, perdu corps et biens près de la Charbotière. Les 18 naufragés furent inhumés au cimetière Neuf'. Un calvaire fut élevé en leur mémoire, situé au carrefour des routes de Ploubalay et du Guildo. On raconte à ce sujet que les marins pêcheurs jaguens avaient averti l'équipage du corsaire qu'il courait un grand danger en ne s'abritant pas, à cause de la tempête qui soufflait du Nord-Ouest. Une dizaine seulement de marins fut sauvée et secourue par des familles jaguines.

En 1843, Antoine Hervé, patron du bateau 'Joseph' en pêche aux Ebihens, fut 'écrasé par le feu du ciel et le coup de tonnerre qui a abattu l'équipage composé de 3 hommes'.

En 1946, le bateau de pêche 'Saint-Jacut' sauta sur une mine de la dernière guerre, ramassé dans les filets, tuant les deux marins du bord, Joseph Leclerc et Célestin Jégu.

Extrait du témoignage de Pierre Aubin : l'utilisation du chalut à perche, 13 février 2008, complété par le témoignage de Michel Duédal

Témoignage de Pierre Aubin :

Le chalut à barre ou à perche était utilisé principalement par les canots de 17-18 pieds, assez forts pour travailler au chalut, alors que les 14 pieds pratiquaient davantage le maquereau de ligne à l'affare. Le chalut, appelé drague à St-Jacut était de petites dimensions (4, 50 m). Cette petite drague avait des bourses sur les côtés. Le goulet avait une forme d'entonnoir. Les patins étaient appelés des 'palotons' ; en chêne ou en orme, les fers étaient forgés à Trégon. Les funes étaient appelées des 'bérrieux' pour aller le chalut par dessus bord.

Témoignage de Michel Duédal :

Le filet est monté sur la ralingue inférieure plus longue que la barre d'environ 1/3. La chaîne est faite de mailles particulières, forgées en huit et soudées en leur milieu (par le forgeron de Trégon). Toutes les 3 ou 4 mailles est fixé un 'coutisse' de cuir. La ralingue du filet est festonnée d'un coutisse à l'autre. Ce qui l'oblige à 'bien bailler'. Ce montage 'grève', laboure moins les fonds grâce à ses mailles ; il a un meilleur rendement car il opère un tri : les poissons, mais aussi le 'goui' (algue), entrent dans le filet alors que la majeure partie des coquillages vides restent sur le fond. La ralingue supérieure reste 'flotter' au-dessus ; on peut prendre le poisson nageant près du fond. La 'pouche' (filet) très longue, retient bien les poissons, en particulier les raies. En pêche, une poulie simple est frappée sur la patte d'oie des bérrieux (funes). Sur les Dragous, le dormant du filin, amarré au pied du grand mât, passe par cette poulie et fait retour sur le bittard du bout-dehors. La partie arrière du filin est saisie en double par le 'bout de chien' qui permet par son réglage de faire lofer le bateau. Sur les 'macrotiers', le dormant s'amarre au bittard de bout-dehors et fait retour à l'arrière par la 'godillouère' au niveau d'un 'chaumard'. Ce sont les femmes qui étaient chargées de la fabrication des filets en chanvre.

Extrait du témoignage de Pierre Aubin : les pratiques de pêche, 13 février 2008

Les dorades, appelées 'guitons' à Saint-Jacut, étaient pêchées en mer 'au trou' avec une baleine de parapaluie, équipée d'avançons avec un plomb. On allait en particulier aux Buharats.

Lorsque les pêcheurs passaient devant 'saint Awawaou', ils disaient : 'saint awawaou, donnes nous, pour nous, des maquériaou plein le trou'.

Témoignage oral - Pierre Aubin et Roger Goupil - 2007 (13 Mo)

Le pêcheur jaguen entre le 18ème siècle et le 20ème siècle

Procés-verbal de l'inspection de Le Masson du Parc entre juillet et octobre 1726 dans l´amirauté de Saint-Malo, du Couesnon à l´Arguenon. Paris : AN, série C/5/20, folios 37-38, 1758.

Pelaud, "Ports maritimes de la France. Notices sur les ports des baies de Saint-Brieuc et du Guildo et des parages voisins". Ministère des Travaux Publics : Imprimerie nationale, 1878, pp. 10, 13. (St-Jacut, p. 1-7)

Au 18ème siècle, la pêche en mer se développe à Saint-Jacut, car les bateaux passent de 4 à 10 unités entre 1706 et 1726. Ces bateaux, de 4 à 5 tonneaux, sont armés par 5 à 8 hommes, pour les lignes, les cordes, les folles et les roussetières (filets). Le Masson du Parc relève les noms de 76 pêcheurs jaguens, inscrits sur le rôle. Sur cette liste, qui précise l'âge des marins entre le plus jeune, âgé de 15 ans et le plus âgé de 57 ans, la moyenne d'âge est située entre 30 et 40 ans. Ces hommes sont presque tous pêcheurs de mer et à pied, mais aussi laboureurs, note Le Masson du Parc : "Ceux qui vont en mer font la pêche dans les bateaux pendant la morte eau (parce qu'il ne peuvent tendre (leurs) filets à la côte. Et lors des grandes marées, ils desservent leurs pêcheries et font les tentes (tendent leurs filets) de basse eau. Beaucoup sont classés". Dans la liste nominative des marins pêcheurs cités, on trouve les patronymes de Pilard (l'un des vieux noms jaguens), de Basset, Carré, Dagorne, Hesry, Loraine, que l'on retrouve encore aujourd'hui sur l'état civil.

Au cours de son inspection en 1726, Le Masson du Parc remarque que la pêche au maquereau a lieu d'avril à fin juillet de deux façons, aux rets, à la ligne, ce qui est plus rentable. Cette pêche se fait au plomb ou au libouret (?). La boëtte est fournie par les femmes de pêcheurs : Elles prennent le chevron avec une espèce de sac de serpillière, ressemblant à une petite traîne ou seine de 3 brasses de long au plus avec 2 petites ailes sur le côté. Cet outil de pêche, décrit par Le Masson, est comparable à la have à chevlin utilisée dans l'Arguenon jusqu'au 3ème quart du 20ème siècle.

Le Masson du Parc dans son rapport, aborde ensuite la drague, les lançons, les filets et les haves ou havenets. Il cite à la côte les petites pêches des tessures, des lignes de fond, des seines à poisson plat, des petits erguets (?), des seiniaux. Il évoque la pêche des huîtres et des moules à la côte, toute pêche vivrière.

En 1878, il y avait 28 bateaux selon le rapport de Pelaud et en 1930, on comptait 38 bateaux. Au 19ème siècle, les Jaguens étaient surtout des pêcheurs en mer, armant leurs bats carrés, forts canots gréés avec des voiles carrées, peu performantes, mais qui les amenaient pêcher de Bréhat à Granville. Les pêcheries ne servaient plus qu'à fournir la "mnuse" pour l'affare, la boëtte (AN CC5/435).

Synthèse d'après le témoignage de Michel Duédal, ancien syndic des gens de mer, août 1998 et décembre 2007

Michel Duédal fut ancien syndic des gens de mer, entre 1969 et 1996. Sa fonction, très polyvalente, englobait toutes les activités de la marine, sauf la Marine Nationale. Elle comprenait la police des pêches, dont le contrôle des établissements de pêche, les licences et le contrôle des pêcheries, des pêcheurs à pied et des marins embarqués, la navigation de plaisance et la navigation professionnelle, le suivi des prestations sociales (les pensions) et des accidents de travail. Sa riche expérience professionnelle lui confère une vision globale du milieu marin de Saint-Jacut et des communes littorales voisines.

Les missions de la station de Saint-Jacut-de-la-Mer s'étendaient sur les cantons de Matignon, Ploubalay et Plancoët, entre le quartier de Dinan et le quartier de Saint-Malo, avant que la station ne soit rattachée au quartier de Saint-Brieuc. La presqu'île de Saint-Jacut subissait l'attraction du pays malouin et de la Rance, que ce soit du point de vue administratif au niveau de l'inscription maritime, pour la recherche d'embarquement pour Terre-Neuve au 19ème et dans la 1ère moitié du 20ème siècle et pour la construction des navires de pêche.

Les Jaguens du Tertre du Biord étaient des marins au long cours (Terre-neuvas) et ceux de l'Isle et du nord de la presqu'île armaient à la pêche côtière (maquereaux de ligne, lignes de fond, filets de pose, goémons). Les Jaguines du Biord ou Biordines étaient pêcheuses à pied, pêcheuses de coques (coquères) sur les grèves de l'Arguenon, au fond de la baie de Beaussais, pêcheuses au chevlin avec le havenet au Guildo, à la crevette grise, au bouc et à la m'nuse, à seunner ou sohgner dans les gués pour l'affare (chlevrinouères), attachées à un marin-pêcheur. Le syndic faisait la guerre aux filets de barrage. Les bas-parcs (rayes de pied, filets de pose) et les lignes de fond nécessitaient une autorisation spéciale des Affaires maritimes, alors que le goémon d'épave était libre de droit, souvent piégé par les piquets de bois, fichés dans la vase. D'autres techniques de pêche étaient prohibées comme la 'pêche à battre', la pêche à la senne en baie de la Fresnaye. Les marins de Saint-Jacut allaient en doris pêcher les moules avec des fourches jusqu'à l'îlot du Verdelet.