Histoire des lougres de la baie de Saint-Brieuc
Philippe Saudreau avec le concours de Brigitte et Pierre.
L'histoire maritime du port du Légué, peu connue malgré sa grande richesse, ne peut se résumer à un seul article, tout bien documenté qu'il soit. Sans présumer d'une décision de notre comité de rédaction, il est évident qu'un numéro spécial de l'Echo du Bosco pourrait faire l'objet d'une étude approfondie sur ce sujet. Mon propos se bornera donc à rappeler l'origine du projet accompagnée d'une rapide description de ce type de bateau.
A une époque où la mode du 'vieux gréement' ne faisait pas recette, quelques passionnés prennent conscience de la nécessité de préserver le patrimoine maritime sous toutes ses formes. Ils réussissent par leur travail, à sauver de l'oubli une part importante de cette mémoire collective. Certains s'emploient à rassembler les documents d'archives et l'iconographie relative à un port, recueillent les témoignages des derniers marins ayant pratiqué la pêche à la voile. D'autres s'investissent dans la rénovation de quelques 'vieilles coques', ultimes vestiges de l'intense activité qui régnait le long de nos côtes.
Un de ces précurseurs, Jean Le Bot, permettra au grand public de découvrir l'immense diversité de cette culture maritime. La parution en 1976 de son ouvrage intitulé 'Les bateaux des côtes de la Bretagne nord, aux derniers jours de la voile' sera pour beaucoup le point de départ d'une réelle passion.
Ce livre, en consacrant un chapitre sur le port du Légué, ne pouvait que susciter la curiosité et le rêve. On y fait référence à un type de bateaux spécifiques appelés lougres dont voici un bref rappel historique.
Dès 1876, une quarantaine de bateaux attachés au port du Légué utilisent le banc de sable de 'Sous-la-Tour' comme lieu d'échouage et se retrouvent ainsi plus près de la haute mer. Cette petite flottille se compose essentiellement de forts bateaux d'échouage gréés de deux mâts. L'administration les classera sous l'appellation 'lougre' sans que l'on puisse y retrouver véritablement le gréement typique, à savoir l'existence d'un grand étai et l'amurage de la grand voile en abord.
Dans cette flottille, deux types de constructions se distinguent : les plus petites, dont l'usage se limite à la pêche fraîche au chalut, sont à tableaux droits, bien souvent surmontés d'un banc de quart. Les bateaux de plus forts tonnages ont un arrière à petite voûte terminé par un tableau ; leur franc-bord important peut s'expliquer par l'activité sablière développée dans la région.
Ces 'lougres', qu'aucune dénomination locale ne permet de différencier, adopteront un gréement simplifié proche de celui des Bisquines. Afin de faciliter les manoeuvres, les vergues s'établiront de part et d'autre des mâts supprimant ainsi l'obligation de gambeyer au virement de bord.
Le plan de voilure se compose donc d'un foc envoyé au moyen d'un rocambeau, sur un très long bout-dehors (non haubané) maintenu à l'étrave par une ferrure à rouleau facilitant son déplacement. La drisse du foc est composée d'un petit palan frappé en tête de mât de misaine, le retour se faisant sur un filoir du pavois. Le mât de misaine, très court, ne peut recevoir de hunier : c'est une particularité locale. La misaine s'établit à tribord du mât et la grand voile à bâbord, permettant ainsi de présenter toujours une voile en position favorable. Parfois, pour les régates, un mât de tapecul était ajouté, ce qui donnait à l'ensemble de la voilure une inclinaison en éventail, la quête importante du grand mât facilitant le passage de la misaine d'un bord sur l'autre sans accrocher.
Malheureusement, très tôt, les lougres du Légué vont disparaître du paysage de 'Sous'la'Tour'. Au lendemain de la première guerre mondiale, plus aucun bateau n'adoptera ce gréement, seule la voile aurique aura la faveur des patrons pêcheurs.
On comprend donc mieux tout l'intérêt de l'article de Jean Le Bot qui eut la chance 'd'hériter' des plans du chantier Le Marchand, à La Landriais, où fut construite en 1896 la 'Jeanne d'Arc', pour un Mr Prud'homme de Sous la Tour. C'est à partir de ce document unique, d'une valeur inestimable, que put se bâtir le projet de refaire naviguer ce bateau.
Glossaire
Vergues : espars sur lequel est enverguée une voile.
Gambayer : opération qui consiste à faire passer sous le vent du mât une vergue au tiers qui par suite d'un virement de bord se trouvait au vent.
Rocambeau : Cercle en fer muni d'un croc et d'une manille qui peut courir le long d'un mât ou d'un bout-dehors.
Filoir : pièce de bois fixée horizontalement à l'intérieur du pavois.
Hunier : voile gréée au dessus des basses voiles par petit temps.
Tapecul : voile et mât qu'on établit tout à fait à l'arrière de certains bateaux.
Chargée d'études d'Inventaire