Cette croix est avec un calice du XVe siècle, réalisé par un orfèvre de Rennes, un témoin exceptionnel de l´ancienne splendeur du trésor de la chapelle de Saint-Gobrien, située sur la paroisse de Saint Servant, à proximité de la rivière de l´Oust. Centre d´un pèlerinage fréquenté sur le tombeau de saint Gobrien évêque de Vannes au 8e siècle, cette chapelle toute proche de Josselin bénéficia tout au long du moyen-age du mécénat des Rohan dans le domaine desquels elle se trouve alors située. Plantée sur un noeud qui reprend la forme de ceux des calices contemporains, la croix est terminée par des quadrilobes dont la découpe en accolades rappelle egalement celle des pieds de calice de la fin du XVe siècle. Chacun d´eux est rehaussé de fleurettes à six pétales dorées et clouées, en cadrant sur la face antérieure les symboles des quatre évangélistes repoussées et dorés. Sur la face postérieure des médaillons gravés anciennement émaillés représentant à gauche saint Michel archange, à droite saint Fiacre, au sommet un saint militaire sans doute saint Julien, titulaire d´une chapelle sur la paroisse, et en bas de la croix saint Maudez évêque, dont la chapelle, sur le territoire proche de la Croix-Hélléan est une belle construction du XVe siècle. Ces quatre médaillons encadrent la statuette de saint Gobrien, patron de la chapelle pour laquelle la croix fut commandée. Le choix de roses héraldiques à six pétales pour les bras de la croix et cinq pour les boutons du noeud, rappelle comme sur les calices que cette fleur est le symbole traditionnel de la Passion du Christ, de même que le décor estampé des bras au feuillage entourant un tronc écoté évoque à la fois et la croix du supplice et l´arbre de la connaissance. Ce décor se retrouve presque identique sur le reliquaire de Bignan qui est daté par inscription de 1496.
Le traitement du Christ remarquable, dont seuls la tête, les mains et les pied sont fondus, montre l´habileté de l´orfèvre à mettre en oeuvre une sculpture à partir de feuilles de métal repoussées. Le torse et les membre étirés, le subtil drapé du perizonium, le visage encore juvénile, aux traits fins et la chevelure souple donnent à l´oeuvre une qualité égale à celle de la statuaire monumentale. La présence dans la même chapelle d´un beau Christ en croix du XIVe siècle, sur l´ancienne poutre de gloire qui marque l´entrée du choeur a pu inspirer ce haut niveau artistique. Au revers, la statuette du patron de la chapelle, saint Gobrien, en évêque tenant sa crosse d´une main et un livre de l´autre, est d´une égale finesse, et d´une exécution aussi magistrale que la gravure des médaillons qui ornent les bras de la croix. Raffinement supplémentaire, ces derniers étaient rehaussés d´émaux translucides en basse taille presque entièrement disparus aujourd´hui.
Le noeud a fait l´objet des mêmes soins et son décor tournant de roses tigées, d´une élégance parfaite, décline une fois de plus en l´adaptant à la forme la symbolique de la fleur partout présente. Il faut enfin noter dans cette oeuvre de haut niveau, un emploi judicieux de la dorure, parfaitement dans la tradition du XVe siècle, qui fait ressortir du fonds certains éléments et renforce la clarté de composition et l´élégance de l´ensemble.
Le décor architectural, en particulier celui du dais ajouré qui surmonte le Christ, et en accentue la plastique longiligne du christ, est tout à fait unique. D´un emploi fréquent au revers des croix, au dessus des statuettes de saints éponymes, il est beaucoup plus rare sur leur face antérieure où c´est le plus souvent un titulus qui surmonte l´image du crucifié. De plus, l´absence de carré central que remplace ici un nimbe crucifère discret, distingue également cette croix des modèles habituels, entre autres des exemples nantais comme la croix de Cordemais. Ce détail stylistique qui se retrouve au XVIe siècle, avec les mêmes quadrilobes terminaux découpés en accolade, sur des croix de procession attribuées avec certitude aux ateliers de Rennes, comme celles de Montreuil-le-Gast et de Saint-Rémy-du-Plain, permet de voir peut-être dans la croix de Saint-Servant l´origine d´un modèle régional.
Plusieurs indices permettent d´envisager l´attribution de cette très belle croix qui porte au revers sur un de ses bras une trace de poinçon difficilement lisible. D´abord la présence dans le trésor de la même chapelle d´un beau calice à peine plus tardif, se situant à la charnière du XVe et du XVIe siècle, et qui porte avec le poinçon de communauté de Rennes celui d´un orfèvre R M attribuable au maître rennais Rolland Martin. D´autre part il faut noter que le décor de quatre-feuilles employé pour orner les boutons du noeud du même calice, qui est aussi utilisé comme paraphe à la fin de sa signature par cet orfèvre, se retrouve discrètement glissé, comme une signature cachée à la base de la hampe de la croix sur les deux faces. Il y a là sans doute plus qu´une simple coïncidence qui permettrait d´envisager Rolland Martin comme auteur supposé de ce qu´il faut reconnaître comme un des chefs d´oeuvre de l´orfèvrerie bretonne de la fin de l´époque ducale.
Photographe à l'Inventaire