Dossier d’œuvre architecture IA22133125 | Réalisé par
Lécuillier Guillaume (Contributeur)
Lécuillier Guillaume

Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.

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  • inventaire topographique, Lannion-Trégor Communauté
Ensemble de quatre immeubles à logements dits "maisons ouvrières", rues Pasteur et Jean-Jaurès (Tréguier)
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Schéma de cohérence territoriale du Trégor - Tréguier
  • Hydrographies
  • Commune Tréguier
  • Adresse Rue Pasteur , Rue Jean Jaurès
  • Dénominations
    immeuble à logements, jardin, remise
  • Appellations
    Maisons ouvrières de Tréguier

Ces logements sociaux répartis en quatre ensembles ont été construits en 1932-1933 sur des plans de l’architecte Le Gouëllec de Saint-Brieuc. Leur construction répond à la grave crise immobilière qui frappe la ville de Tréguier depuis le début des années 1920.

Pour l’architecte, c’est l’occasion de mettre en œuvre de nouveaux processus de construction pour un projet de logement doté d’un niveau important de confort et d’équipement. Le « bretonnisme » des maisons ouvrières de Tréguier s'exprime avant tout par leurs façades sur rue à haut pignon triangulaire, rappelant les maisons à avancée de Basse Bretagne dont la construction s'est développée à partir du 17e siècle. Autre caractéristique architectonique reprise dans ce projet, les crossettes ou chevronnières saillantes situées à la rencontre du chaînage d'angle et des rampants que l'on retrouve dans les logements anciens mais aussi - plus symboliquement - sur les puits trégorois également à fronton triangulaire. Cette réalisation annonce déjà la mode de la maison néo-bretonne qui va massivement s’imposer dans le 3e quart du 20e siècle et dont la ville de Tréguier recèle de multiples exemples dans ses lotissements.

Avec les armoiries de Tréguier qui trônent au milieu du fronton triangulaire, le groupe de logements donnant sur la rue Pasteur est sans doute le plus remarquable. Il démontre dans le granite la fierté du commanditaire, à savoir la ville de Tréguier et son office municipal des habitations à bon marché présidé par Gustave de Kerguezec. Presque cinq ans se sont écoulés entre le premier projet de l’ingénieur architecte Muller (17 octobre 1928 - 25 avril 1930) et la réalisation d’un nouveau projet par l'architecte Adolphe Le Gouëllec de Saint-Brieuc (1932-1933).

Le contexte et le projet de l'ingénieur architecte Muller de Reims (1930)

En octobre 1928, l'ingénieur architecte F. A. Muller de Reims adresse à la ville de Tréguier un "rapport sur les habitations à bon marché et à loyers modérés" établis à la demande du sénateur-maire Gustave de Kerguezec. L'ingénieur y détaille les avantages de la nouvelle « loi Loucheur » en terme de financement de constructions nouvelles. Votée le 13 juillet 1928 à l'initiative de Louis Loucheur, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale entre 1926 et 1930, cette loi a pour objectif de favoriser l'habitation populaire par le financement de l'État via la Caisse des dépôts. Ce programme a ainsi permis de réaliser 200 000 logements à bon marché et 80 000 logements à loyer moyen.

La fin du rapport de Muller est l'occasion de décrire son projet visant à établir un "groupement de maisons ouvrières" à Tréguier. Pour séparer les futurs logements de l'école toute proche, il préconise la création d'une "allée-promenade avec arbres et bancs" et précise que celle-ci devra être éclairée (nous sommes en 1928). Si l'ingénieur architecte met en avant le coût modique de ces constructions, il s'interroge tout de même sur les prix élevés qu'il a pu constater en Bretagne lors d'un précédent projet réalisé en 1926 à Saint-Quay-Portrieux.

Bouclé en 1930, le projet de l'ingénieur architecte Muller consiste en la "construction de 20 maisonnettes à bon marché" pour un montant de 38 055,50 francs au m2 (chiffrage du 8 juillet 1930). L'ingénieur architecte a réalisé successivement le plan des futurs logements (fondation, rez-de-chaussée et premier étage) et des élévations (25 avril 1930), des coupes (26 avril 1930), le plan d'ensemble dit "plan de morcellement" (4 mai 1930), le cahier des clauses et conditions générales pour lancer l'adjudication des travaux et le devis descriptif énonçant les détails de la construction (15 mai 1930).

Début juillet 1930, le sénateur-maire de Kerguezec se plaint du retard du projet : il finit même par s'interroger sur le soutien dont il bénéficie à Tréguier (l’édile demeure la plupart du temps à Paris comme le montre sacorrespondance). En effet, pour les membres de l'office municipal (réuni autour du dénommé Chauveau), le projet de construction devrait être "réalisé prudemment" en "deux temps de 10 maisons" ; deuxièmement, le plan des logements est perçu comme "inadapté pour les jeunes ménages qui débutent", enfin, troisièmement il est reproché le "choix d'un architecte très éloigné" à savoir l'ingénieur architecte Muller de Reims. Il est également pointé le coût important des loyers qui destineraient ces logements plutôt à des "fonctionnaires ou des personnes aisées".

Un dénommé Joseph (vraisemblablement Le Guen, secrétaire de la mairie de Tréguier), qui dresse des compte-rendu réguliers au sénateur-maire depuis Tréguier écrit : "il serait donc à craindre que l'opinion publique ne se retourne contre vous au moment même où il y a un coup dur à donner. J'ai dit à l'ami Colvez que je voulais vous prévenir de la chose et il m'y a encouragé lui-même, en me disant que vos vrais amis devaient vous en avertir. Je vous enverrai votre dossier [celui des maisons ouvrières], mais il vous supplie de ne pas encore le soumettre au ministère avant que vous même en ayez discuté avec l'office municipal" (28 juillet 1930).

Le 29 juillet 1930, l’office municipal approuve le programme de construction.

C'est pour répondre aux critiques que, de nouveau sollicité par le sénateur-maire, l'ingénieur architecte Muller propose une variante de ces maisonnettes sans chambre à l'étage (plan du 20 septembre 1930 : il est prévu que l'étage des logements reste à l'état de grenier).

Comme il était à prévoir, le projet de Muller est refusé par les membres de l'office municipal : c'est un désaveu pour le sénateur-maire de Kerguezec qui adresse de Paris le 18 novembre 1930 une note à la mairie de Tréguier. Kerguezec souhaite que l'on lui adresse au plus vite la liste des "personnes qui ont combattu ces propositions et les arguments qu'elles ont exposé pour abattre un projet qui a fait l'objet de si longues et si minutieuses études" (voir la réponse de l'office municipal en annexe).

Le projet de l'architecte Le Gouëllec de Saint-Brieuc (1931-1932)

Le projet de maisons bon marché est relancé dès l'année suivante. Sollicité par le sénateur-maire de Kerguezec, l'architecte Adolphe Le Gouëllec de Saint-Brieuc écrit "comme vous me le demander, je vais prévoir un groupe de 6 maisons de 2 pièces que je traiterai en un petit ensemble breton s'alliant avec la masse plus importante du reste de la construction. Comme je vous l'ai promis, je ferai ces plans dès que j'aurai terminé le concours qui m'occupe en ce moment et le 15 juillet. Je viendrai en compagnie de monsieur Le Garçon vous soumettre ce que j'aurai fait" (18 juin 1931). Comme promis, Le Gouëllec adresse les plans et devis de son projet le 15 juillet et Le Garçon est en charge d'établir le plan financier. Une rencontre a lieu au milieu du mois d'août entre Le Gouëllec et de Kerguezec.

Le 19 avril 1932, la ville de Tréguier cède le terrain de 4 806 m2 (section A ; parcelles n° 159,160, 161 et 165) situé derrière l’École primaire supérieure des garçons à l'office municipal de construction de maisons à bon marché (MBM). Ce terrain évalué à 12 francs le m2 appartenait anciennement à l’ancien Petit séminaire avant la loi de Séparation des églises et de l’état.

Le même jour paraissent les devis quantitatifs (en 2 lots) pour la construction d’un groupe de 6 logements type III bis composé d’une chambre, d’une cuisine et d’une remise-cellier et de trois groupes de 5 logements type II bis composés de deux chambres, d’une cuisine et d’une remise-cellier (les plans distinguent le "côté porche" (entrée) du "côté chambres". Au total, 21 logements nouveaux dont la construction a nécessité de contracter un prêt de 717 800 francs à la Caisse des dépôts et consignations.

Les descriptifs des travaux sont répartis de la manière suivante :

- terrassement, fossé, maçonnerie, ciment armé (75% du coût total du projet) ;

- ravalements, plâtrerie, légers ouvrages ;

- charpente, couverture, zinguerie, plomberie sanitaire ;

- menuiserie, quincaillerie ;

- peinture, vitrerie.

Le dossier est complet le 20 avril 1932, à la fois validé par le préfet et par le président de l’office municipal des habitations à bon marché Gustave de Kerguezec. Dans l’une de ces nombreuses "instructions pour la ville de Tréguier", "à relire soigneusement", le sénateur maire écrit : il faut "rappeler à monsieur Le Gouëllec [l’architecte choisi pour le projet] qu’on ne doit faire appel, pour la fourniture et la main d’œuvre étrangères qu’autant que l’une ou l’autre manqueraient sur la place du Trégor (Tréguier et les environs)".

Datée du 25 juillet 1932, l’élévation des logements sur la rue Pasteur signé Allouy (?) a encore été annoté. On peut ainsi lire : "on peut remplacer cette lucarne en bois par une lucarne en pignonnet" (ce qui fut fait) et le commentaire de Gustave de Kerguezec : "très bien, mais l’argent !!!".

La construction des logements (1932-1933)

L’entreprise générale de travaux publiques et particuliers François Huet fils de Guingamp a été choisie pour mener à bien les travaux. La livraison des cinq premiers logements prévue le 29 septembre doit cependant être repoussée.

Le programme de construction de 15 logements de type II bis (en 3 groupes) et 6 logements de type III bis a été achevé en 1933 pour un montant total de 792 685 francs. Toutes les maisons sont louées en 1935 pour un loyer annuel total de 30 180 francs alors que l’annuité d’emprunt s’élève à 26 400 francs. L’excédent du produit est affecté à l’entretien des immeubles, aux assurances contre l’incendie et au fonds de prévoyance pour les constructions futures et d’améliorations.

Ensemble de 4 immeubles regroupant 21 logements (15 logements de type II bis repartis en 3 groupes et 6 logements de type III bis) avec jardin individuel et remise (6 m2). Ces logements ont la particularité d’être traversants avec une porte d’entrée donnant sur la rue et une porte donnant sur le jardin. Les logements de type II bis se composent au rez-de-chaussée d’une entrée dite "porche" desservant la "salle commune", le cellier et le water-closet ; d’un espace désigné comme "service de cuisine" et d’une salle commune (16,65 m2). De la salle commune, on accède à l’étage doté de deux chambres (mesurant respectivement 13 et 14 m2) par un escalier de 80 cm de largeur. Un espace de rangement est aménagé sous l’escalier. Le type III bis regroupe en rez-de-chaussée une entrée avec porche desservant la "cuisine familiale" (16,6 m2) et le water-closet. De la cuisine, on passe ensuite à une chambre (12,6 m2). Pour deux des trois groupes, l’étage est aménagé avec deux chambres éclairées chacune par une grande lucarne.

Les radiers sont réalisés en béton de ciment tandis que des agglomérés de béton de 15 cm d’épaisseur hourdé en ciment sont utilisés pour les parois des fosses du terrassement. Les logements sont montés en maçonnerie de moellon (50 cm d’épaisseur) et mortier de chaux hydraulique (à joints plats) y compris les pignons et les têtes de cheminées (les conduits de fumée sont réalisés au mandrin dans l’épaisseur des murs, puis doublés - pour celui de la cuisine - par des boisseaux en terre cuite). Les murs de refend sont en aggloméré de béton de 20 cm d’épaisseur hourdé au ciment. Du béton armé est utilisé pour le palâtre et le chaînage. Idem – du ciment armé – pour les meneaux ou les linteaux des baies. Le sol est formé d’un béton de ciment de 10 cm d’épaisseur avec une chape en ciment bouchardé de 25 mm d’épaisseur.

Côté porche, c'est-à-dire au nord, la façade du logement est enduite au ciment blanc alors que côté jardin, au sud, la façade mélange moellon apparent et enduit au ciment clair (au niveau du soubassement et des linteaux faisant bandeau).

Couverture en ardoise d’Angers posées sur liteaux de sapin avec crochets galvanisés. Faitage en terre cuite scellé à la chaux. Gouttières et descentes en zinc de 8 cm de diamètre.

A l’intérieur des logements, utilisation de brique creuse de 55 mm d’épaisseur hourdées et enduite de plâtre pour les cloisons. Empoutrellement et charpente en sapin, plafond en plâtre sur lattis.

Console et évier en porcelaine et tuyauterie en plomb ou en ciment pour l’évacuation vers la fosse.

Huisseries, moulures, plinthes, parcloses en sapin, portes intérieures en sapin à panneaux bâtis de 34 mm.

Peinture à l’huile 3 couches à l’extérieur, 2 couches à l’intérieur.

"Pose d’appareil de WC [water-closet] avec effet d’eau et réservoir de chasse".

Tout est décrit en détail dans les devis quantitatifs, jusqu’aux ferrures, serrures, paumelle et bouton double en cuivre. Dans le jardin, "clôture en piquets béton avec fil de fer compris portillon d’entrée avec ferrure et peinture".

  • Murs
    • maçonnerie enduit
    • béton parpaing de béton
  • Toits
    ardoise
  • Plans
    plan rectangulaire régulier
  • Étages
    rez-de-chaussée, étage en surcroît
  • Élévations extérieures
    élévation ordonnancée
  • Couvertures
    • toit à deux pans
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier en équerre en charpente
  • Jardins
    pelouse
  • État de conservation
    bon état
  • Statut de la propriété
    propriété du département

Documents d'archives

  • Bâtiments ; construction de 23 [21 ?] maisons ouvrières rue Pasteur et rue Jean Jaurès : correspondance, avant-projet, dossier d'emprunt, dossiers d'acquisition des terrains, acte administratif de convention à l'amiable de cession des terrains par la commune, plans, paiements, rapport final. 1930-1935.

    Archives communales de Tréguier : 1W5

Annexes

  • Extrait du projet de l'ingénieur architecte F. A. Muller, octobre 1928
  • Réponse de l'office municipal au sénateur-maire de Kerguezec suite à sa note du 18 novembre 1930
  • Extrait du courrier de l’entrepreneur daté du 22 septembre 1932 expliquant le retard du chantier
Date(s) d'enquête : 2016; Date(s) de rédaction : 2018
(c) Région Bretagne
Lécuillier Guillaume
Lécuillier Guillaume

Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.

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