Historique
La Duke trégorroise a pour nom d'origine International kidney ou encore Royal Kidney. Cette variété précoce, créée en Angleterre en 1879, a migré aux Îles anglo-normandes vers 1880-1890, et fut rapportée en Bretagne par les saisonniers agricoles à Jersey après la guerre 1914-1918. Cette pomme de terre prim' a pris le nom de Duke sur les côtes du Trégor et de Streo Du en Pays Leon (Nord Finistère). En effet les Finistériens se sont procurés cette variété Streo Du à Perros-Guirec en 1920.
La Duke est une variété de pomme de terre robuste précoce à fanes et tiges foncées et à chair blanche. Les tubercules, de forme oblongue, sont très groupées autour de la tige. Sa chair est très fine, blanche à jaunâtre restant assez ferme à la cuisson.
La Streo Du comme la Duke est cultivée pour être arrachée tôt. Les grosses triées issues du tri de sa semence étaient gardées pour la consommation de la famille jusqu’à Noël ou étaient vendues à des cantines par exemple. Cette pomme de terre primeur est adaptée aux conditions agronomiques et culturales du Trégor littoral, amendé par les engrais marins et cultivée à l’abri des parcelles entourées de talus-murs. Elle participe de la fameuse "Ceinture dorée du Trégor". Plante inféodée au bocage littoral, cultivée dans des terres limoneuses, amendées par les algues, la Duke représente une variété de légume liée à une littoralité d’usages agronomiques.
Techniques culturales : une pomme de terre "bio" avant l’heure !
Le fumier était rare et cher. Il était plutôt réservé à l’artichaut et l’oignon. Avant de planter les pommes de terre en janvier ou à la Chandeleur (2 février), on apportait du goémon vert d’échouage à partir du mois d'octobre sur les plates-bandes et durant tout l’hiver sur le plat. Ce goémon apportait aussi du calcaire grâce au sable coquillier. On utilisait aussi pour faire de l'humus, du goémon sec ou du goémon noir (ascophylum nodosum) coupé en janvier-février selon une réglementation très stricte. (période de coupe fixée par arrêté communal).
Les pommes de terre étaient binées très rapidement à la main par crainte du gel.
Les productions de semences étaient traitées contre le mildiou. Cette semence fermière n’était pas trop sensible à la gale, mais il fallait quand même faire attention dans les terrains de garennes.
Cette prim' était vendue dans toute la Bretagne et à Paris. Entre les deux guerres, les goélettes de cabotage du pays de Tréguier devaient pouvoir quitter le quai pour la Saint-Yves à la mi mai, pour expédier leurs pommes de terre en sacs de 50 kg vers les côtes anglaises ou du Pays de Galles (avec du charbon en fret de retour). Cette variété précoce a fait la fortune des cultivateurs et des capitaines armateurs trégorrois.
Production des semences
Les semences dites fermières, peu sensibles aux virus, conservées dans le terroir ont évité d'acheter pendant cent ans des semences industrielles. A partir de la Toussaint, on commençait pour les premières plantations à ranger les tubercules debout sur le plancher des greniers ou dans des clayettes. On obtenait ainsi des germes uniformes. Un seul tubercule pouvait fournir jusqu’à 12 germes.
Fin de la culture de la Duke et essai de renouveau
Pendant la belle époque de sa production, 20 000 tonnes de Duke était produite en Bretagne. Cependant, les coopératives agricoles, dès les années 1970 (La SICA du Léon) n'a plus voulu commercialiser cette pomme de terre atypique, difficile à conserver, lui préférant des variétés nouvelles plus productives comme Sirtema, puis Ostara.
En 1990, l'UCPT (Union des Coopératives de Paimpol et de Tréguier) a essayé de relancer la Duke et de se réapproprier son terroir, avec le soutien de la station légumière de Pleumeur-Gautier. Mais c'était trop tard, le monde agricole avaient changé... Une productivité accrue, malgré la tentation d'une AOP comme pour le coco de Paimpol…
Cependant, en 1997, la station d’essai légumière de Pleumeur-Gautier va expérimenter la culture de la Duke en bio avec des résultats satisfaisants.
Seuls les jardiniers et quelques cultivateurs du Trégor (Penvénan, Plougrescant, Plouguiel, Pleubian, Trédarzec, Lanmodez) cultivent encore quelques hectares de cette belle variété si savoureuse et craquante en bouche, cuisinée avec du beurre salé dans un chaudron, et encore mieux dégustée dans un ragoût d'ormeaux.
Aujourd'hui, c'est l'Île de Jersey qui conservé cette production. De grandes exploitations agricoles de 100 ha poursuivent cette culture de façon intensive avec une main d’œuvre presque exclusivement étrangère (ouvriers saisonniers, polonais et portugais).
Cependant, la Duke est en train de renaître en Trégor avec de jeune producteurs maraîchers bio sur un marché de niche. Elle participe encore aujourd’hui à renforcer une identité rurale agricole grâce à ce fort marquage identitaire.