L’étude topo-thématique centrée sur la commune de Saint-Thélo s’inscrit dans le cadre plus large d’une étude thématique sur le patrimoine lié à l’histoire toilière de la Bretagne. Du 15e au 18e siècle, la Bretagne est l’une des premières provinces toilières françaises. La production des toiles mobilise une grande partie de la péninsule, et l’inscrit dans un vaste réseau européen et atlantique. Les témoignages patrimoniaux sont de nature différente suivant les territoires et la place qu’ils occupent dans la chaîne de production. Saint-Thélo est au cœur de la manufacture des bretagnes, active entre le 17e et le début du 19e siècle. La production et le commerce de ces fines toiles de lin ont laissé des témoins patrimoniaux variés : maisons de marchands et de tisserands, doués pour le lavage des toiles, dépendances pour le conditionnement et le stockage de cette production textile. L’enrichissement des marchands se traduit souvent de façon ostentatoire dans l’architecture de leurs maisons ou au travers de commandes artistiques destinées à l’embellissement des églises.
L’enquête d’Inventaire réinvestit une précédente enquête d’Inventaire topographique réalisée en 1996 à l’échelle du canton d’Uzel. L’objectif est de revenir sur la commune avec un regard aiguisé sur ce pan de l’histoire bretonne, à la lumière, notamment, des archives, de la thèse de Jean Martin publiée en 1998 - Toiles de Bretagne, la manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac 1670-1830 - et des nouvelles interrogations que l’on peut aujourd’hui porter sur le sujet grâce à la vision globale amorcée par l’étude thématique régionale.
Périmètre d’étude
La production des toiles de lin s’étend dans tout l’espace rural au sein duquel les tisserands, blanchisseurs et marchands sont disséminés. L’étude prend ainsi en compte le bourg et les lieux-dits de Saint-Thélo. La pauvreté des artisans qui animent cette industrie rurale se traduit par la modestie de leur habitat, difficile à identifier, souvent largement remanié, voire disparu. Par ailleurs, la porosité qui existe parfois, notamment au 17e siècle, entre activité agricole, tissage et commerce des toiles, ne facilite pas l’identification des habitations et des dépendances. Dès le deuxième quart du 19e siècle, la misère entrainée par le déclin de la manufacture des bretagnes contribue à la diminution de la densification du paysage rural et de la population. Paradoxalement, le manque de ressources financières permet la conservation des plus riches ensembles, ceux des marchands de toiles, dont l’architecture soignée résiste au temps, sans être trop dénaturée par des remaniements postérieurs.
34 édifices et édicules sont identifiés comme ayant un rapport avec l’activité toilière, sur les 201 recensés dans la commune, soit près de 17% des bâtiments. 5 autres édifices en raison de leur typologie et de leur époque de construction pourraient être associés à cette activité, sans qu’aucune source ou inscriptions ne puissent l’affirmer. Néanmoins, ce pourcentage est probablement sous-évalué, beaucoup de maisons de tisserands n’ayant pu être identifiées, alors même que la fabrication de toiles était la principale ressource de ce territoire.
Méthodologie
L’enquête s’appuie sur un recensement de tous les bâtiments, privés et publics, de la commune, une exhaustivité nécessaire à cette enquête thématique car le tissage et le blanchissage de la toile constituent la principale ressource du territoire aux 17e et 18e siècles, voire dès le 16e siècle. La majeure partie des bâtiments anciens est donc liée à l’histoire toilière, sans qu’il soit possible de tous les identifier formellement.
Un corpus d’édifices et d’édicules en lien avec l’histoire toilière est constitué en s’appuyant sur :
- Les rencontres d’acteurs et d’actrices locaux : l’identification de maisons de marchands de toiles et de maisons de tisserands est possible notamment grâce aux échanges avec les habitants de Saint-Thélo, les élus locaux, la médiatrice du patrimoine (Maison des toiles), les membres d’association (Maison du forgeron), un érudit local, un ancien architecte du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) des Côtes-d’Armor qui a travaillé sur ces questions dans les années 1980 ;
- L’analyse du bâti : après avoir identifié les premières habitations et dépendances liées à l’histoire toilière, il est possible d’en reconnaître d’autres par analogie architecturale. La lecture du bâti permet ainsi de repérer des éléments caractéristiques qui varient considérablement entre le 17e siècle et le début du 19e siècle, et en fonction du degré de richesse des commanditaires ;
- Les sources documentaires : plusieurs ouvrages présentent l’histoire de la manufacture des bretagnes et celle de la commune de Saint-Thélo. Des chapitres dédiés à l’aspect architectural permettent d’identifier les édifices liés à l’histoire toilière, tandis que d’autres chapitres consacrés aux activités de production aident à comprendre la destination des espaces. L’étude des sources écrites, combinée avec l’observation in situ, offrent des pistes de réflexion sur l’usage spécifique de ces édifices ;
- Les recherches en archives : le dépouillement des états de section datant de 1829 permet d’identifier plusieurs maisons de tisserands et de marchands de toiles. Une enquête rédigée en 1649 liste les convenanciers qui ont fait construire des belles maisons à Saint-Thélo contre l’usement de Rohan, en plaçant les seigneurs d’Uzel et de La Motte-Donon dans l’impossibilité d’exercer leurs droits de congément. Ces maisons, décrites comme étant « grandes et belles », semblent être celles de marchands de toile. Plusieurs inventaires après décès de marchands thélotais permettent également d’identifier l’usage des espaces. D’un point de vue social, le recensement de population mené par le premier maire de Saint-Thélo en 1790, puis à partir de 1836, les recensements réalisés tous les cinq ans permettent de saisir les professions pour chaque lieu-dit, et de rendre compte du déclin de la manufacture entre la fin du 18e siècle et le deuxième quart du 19e siècle.
Cette étude est menée dans le cadre d’un stage de Master 2 Restauration et réhabilitation du patrimoine bâti de l’Université Rennes 2, entre mai et novembre 2022. L’enquête produit 201 notices de recensement, contribue à la création de 19 dossiers et à l’enrichissement des 13 dossiers existants. Une couverture photographique illustre également cette enquête.
Photographe à l'Inventaire