La commission de défense des côtes de 1876
Afin de rendre le goulet de Brest définitivement infranchissable à des cuirassés ennemis, la commission de défense des côtes de 1876 prévoit de placer les 96 pièces d'artillerie lourdes nécessaires à sa défense sous casemates cuirassées. En raison des coûts trop importants, le projet est revu à la baisse. Certaines pièces d'artillerie sont installées pour pratiquer un tir rasant dit de rupture. "Le tir de rupture a pour objet la perforation des murailles cuirassées des bâtiments, en vue de les atteindre dans leurs parties essentielles situées au-dessus de l´eau (ligne de flottaison, artillerie de gros calibre, appareils à gouverner, etc.). Il exige une vitesse de choc et une force vive très considérables".
Une batterie casematée expérimentale testée en 1884
Après de nombreuses tergiversations des autorités militaires, une première batterie casematée est aménagée, à titre expérimental, au ras de l´eau dans la falaise sur la pointe du Portzic en 1883.
Un plan-type de batterie casematée est réalisé à cette occasion sur la base de deux canons de 32 cm (voir Jadé, 2004). On y trouve deux chambres de tir avec cheminées d´aération verticales : la casemate et ses deux embrasures en T sont renforcées pour résister au souffle des pièces.
Une partie vestibule regroupe en arrière un couloir de circulation doté d´une voie étroite de chemin de fer de 40 cm d'écartement (système Decauville généralisé dans le domaine militaire à la toute fin du 19e siècle) permettant le transport par wagonnets (poussés à la main) des munitions aux canons depuis le magasin à poudre attenant, un bassin-citerne (pour nettoyer les pièces d´artillerie), une galerie et l'escalier d'accès.
Le plan de la batterie du Portzic évoque le stockage de 30 obus oblongs de rupture et de 20 caisses à poudre, ce qui correspond très exactement à la capacité des étagères.
L´ensemble, à l´exception de la galerie d´accès, est creusé directement dans le rocher puis revêtu d'une maçonnerie de briques et/ou moellons qui est ensuite enduite (c'est particulièrement visible à la batterie des Capucins où le magasin à poudre est ruiné). Des égouts permettent la ventilation et l'évacuation des eaux d´infiltration provenant de la roche.
En 1884, la batterie Portzic est équipée d´une pièce de calibre 32 cm modèle 1870 marine afin "d'éprouver les casemates".
Des batteries à ciel ouvert pour un tir rasant en 1886
Quatre lignes de feu faisant barrage dans le goulet sont définies : Minou - Capucins, Mengant - Cornouaille, Dellec - Robert / Stiff, Portzic - Pourjoint / Espagnols.
Si l´implantation de telles batteries à ciel ouvert est rendue possible par la configuration des lieux dans les "ravins" du Mengant, du Dellec, du Stiff et sur la pointe du Portzic directement située face à l´entrée du goulet (batterie Nationale), il n´en est pas de même sur des sites de falaise, notamment sur la côte sud du goulet. Les quatre batteries basses à ciel ouvert sont achevées en 1886. Leur armement se compose de douze canons de 32 cm (les batteries du Portzic et du Stiff ne sont équipées que de deux pièces), modèle 1870-1881 sur affût marine modèle 1882 à pivot antérieur, ce qui autorise un pointage latéral.
Six autres batteries casematées en 1888
En 1888, six batteries de rupture casematées sont construites au Minou (dans la falaise sous le fort), sur l´îlot des Capucins (dans le rocher), sur les pointes de Cornouaille (sous la batterie vaubanienne), à la pointe Robert (dans la falaise sous la batterie réorganisée en 1862), à Pourjoint (dans la falaise) et à la pointe des Espagnols (sous la batterie vaubanienne). D’autres batteries casematées sont également construites dans les forts de Cherbourg, trois au fort de l’île Pelée, deux au fort de l’Est, deux au fort de l’Ouest et deux au fort Chavagnac.
Un affût spécifique dit "affût de 32 cm modèle 1888 de casemate, type de Brest" (de plus de 39 t) est réalisé pour recevoir l´imposant tube de 32 cm de calibre (canon marine, modèle 1870-1884), de 10 m de longueur et pesant 48 t. Ce modèle de tube est capable de propulser à plus de 600 m/s un projectile en fonte d´acier de 345 kg dit "obus de rupture". Les pièces sont installées avant la construction de l'épais mur de masque dans lequel est aménagée l´embrasure. Si la protection du canon et de ses servants est optimale, en revanche le champ de tir du canon est nul : l´affût de type fixe ne permet pas le pointage latéral de la pièce qui a été réglé une fois pour toutes lors de l´installation. Seul le pointage vertical, variable (de + 5 degrés à - 3 degrés), permet de jouer sur la distance.
L´efficacité du tir repose avant tout sur le bon déclenchement du tir commandé par un observatoire télémétrique dominant les batteries. Du fait des difficultés à approvisionner en munitions les batteries casematées du goulet, seules les batteries de rupture à ciel ouvert sont dotées d´obus explosifs de nouvelle génération. Dix batteries de ce type ont été construites en rade de Brest entre 1883 et 1888 au prix, pour certaines, de travaux gigantesques de déroctage.
Le désarmement des batteries lors de la Première Guerre mondiale
Les batteries casematées du goulet de Brest sont désarmées en 1915 (en à peine un mois, cinq batteries sont désarmées) et 1917 afin de fournir des pièces d´artillerie pour le département de la Guerre (artillerie lourde sur voie ferrée destinée au front terrestre). Celle du Portzic est désarmée de manière définitive en 1916 car le canon, plus ancien, n’intéresse personne. Plus de trois mois seront nécessaires pour le désarmement de la seule batterie des Capucins en 1917.
Le réarmement des batteries de Pourjoint et de la pointe des Espagnols
Il est un temps envisagé de réarmer ces batteries casematées à l´aide de torpilles automobiles, mais le projet reste dans les cartons. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les batteries casematées de Pourjoint et de la pointe des Espagnols sont coiffées par des casemates en béton et réarmées par deux pièces de 5 cm KwK (Kampf Wagen Kanone). L'une d'elle était encore en place en 1969. Aujourd'hui, seul le masque blindé et l’affût sont encore visibles. Deux postes de lancement de torpilles sont créés ex nihilo entre les pointes de Cornouaille et Robert.
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.