Conçue pour offrir une large place à la vie sociale, cette demeure, dont Louis Chouinard dessine les plans en 1949, était destinée à M. Crespel, géomètre issu d´une famille qui compte deux architectes actifs à Rennes (1). Implantée, en site de carrefour, en bordure d´un axe routier ancien, dans un quartier périurbain, prisé par la bourgeoisie dès la fin du XIXe siècle, elle sera achevée en 1954, suivant un parti de distribution adapté à un mode de vie plus familial.
Calé sur l´angle de la parcelle, l´édifice en épouse la forme par un traitement arrondi auquel répondra, à la fin des années soixante, l´immeuble qui lui fait face. Le jardin, placé en position latérale, prolonge la ligne horizontale du volume bâti et en accentue la compacité, créant une alternance de vide et de plein caractéristique du tissu périurbain dans lequel elle s´inscrit.
Son volume épuré, le toit à un versant est masqué par une corniche, est souligné par le rythme des travées et la ligne de corniche, protégeant les baies du rez-de-chaussée surélevé. L´emboîtement du vide et du plein est reproduit au niveau de l´étage, où sont incrustées de fausses terrasses. La polychromie et la texture de l´édifice participent à l´équilibre de la composition et à la lecture de la distribution. Enveloppant les espaces privés, la pierre blanche matérialise la membrane lisse du mur, rompue par le cadre des fenêtres, et contraste avec les aspérités du schiste pourpre, matériau local réservé au rez-de-chaussée et au soubassement qui enracine doublement l´édifice.
La distribution, inspirée de l´hôtel particulier, inscrit les déplacements dans ce même mouvement. L´édifice dispose de trois accès, initialement conçus pour des usages distincts, instaurant deux types de dialogue urbain : une entrée depuis la rue donne accès aux locaux professionnels, l´entrée de service s´effectue depuis le jardin comme celle de l´habitation qui ouvre sur un jardin d´hiver. L´abandon de l´usage professionnel engage l´architecte à supprimer l´escalier « dérobé » qui menait à l´étage et à modifier le rôle du jardin d´hiver finalement conçu comme un hall à l´anglaise, ici sans cheminée, distribuant l´étage et les pièces de réception, dont il est séparé par une cloison mobile. L´escalier en vis sera remplacé par un escalier d´honneur donnant une plus large place à la vie familiale.
Les pièces de service, disposant d´un système de circulation indépendant, sont réparties en sous-sol (chambre de bonne) et au rez-de-chaussée, où l´office et la cuisine sont dotés des équipements les plus modernes et d´un mobilier élégant dessiné par l´architecte.
Les pièces de réception, en suite, forment un volume unique, ponctué d´une cloison mobile et d´une cloison fixe à claire-voie qui délimitent le salon-salle à manger, scandé d´une cheminée centrale.
A l´étage, une galerie distribue les chambres disposant d´un cabinet de toilette et l´appartement des parents (entrée, chambre-salon, garde-robe, salle de bain) selon un dispositif que l´architecte reproduit rue de Lorient, au même moment.
Fruit de la rencontre entre les aspirations d´un architecte expérimenté et les besoins d´un commanditaire sensibilisé à la culture architecturale, cet édifice est remarquable par sa justesse.
On peut le considérer comme l´une des oeuvres majeures de Louis Chouinard, occupé au même moment à la reconstruction de la ville, qui exprime ici son sens du dialogue urbain et sa vision de l´architecture alliant, comme chez Georges Lefort, une esthétique classique et une tradition rationaliste. L´utilisation du béton armé lui permet, en effet, de concevoir le mur comme une membrane, une peau nécessaire et adaptée à l´espace qu´elle délimite.
(1) Le grand-père du commanditaire était l´architecte Crespel, auteur de la Blanchisserie industrielle (rue La-Chalotais), neveu du chanoine Brune, auteur de plusieurs chapelles rennaises, en particulier la chapelle détruite des Franciscains, qui constitue un prototype de l´architecture néogothique dans le département.
Photographe à l'Inventaire