Dominant la mer de 38 m, l’île de Cézembre est située à quatre kilomètres de Saint-Malo dont elle fait partie. L’île est peuplée au néolithique. D’abord à vocation religieuse, l’île abrite un ermitage puis un monastère à partir de la seconde moitié du 15e siècle. Les anciennes cartes marines mentionnent à l’est le mont saint-Sauveur et à l’ouest, le mont saint-Joseph. Le monastère fortifié des Récollets est incendié en 1693 suite à une attaque anglo-hollandaise. Plusieurs chapelles sont figurées sur les plans des ingénieurs militaires : Saint-Michel, Saint-Sauveur, Notre-Dame-de-l’Îsle, et Saint-Joseph. L’île dispose en outre de deux fontaines et d’un mole abrité.
Position stratégique face à la cité corsaire de Saint-Malo, l’île est fortifiée à partir de la fin du 17e siècle (batteries de côtes, parapet à l’est et mur crénelé sur le front sud). Une tour-fanal est projetée sur la partie ouest par l’ingénieur Garengeau mais non réalisée. Entre les conflits, l’île sert également de lieu de quarantaine. La construction d’un lazaret y est projetée en 1721.
Au milieu du 19e siècle, l’île est dotée de deux corps de garde crénelé modèle « 1846 » : à l’est, un n° 2 pour 40 soldats ; à l’ouest, un n° 1 pour 60 soldats (dont des vestiges subsistent sous un encuvement allemand pour canon antiaérien). En 1858, les batteries de l’île sont armées par 4 canons de 30 livres de balle et 4 obusiers de 22 cm. En 1888, l'île est dotée de trois batteries de côte : au nord (4 canons), au sud-est (2 canons) et au sud-ouest (6 canons dont 2 de 16).
En 1890, l'île reçoit les deux seules batteries de gros calibre de la place de Saint-Malo : à l’ouest, une batterie de 4 canons de 24 cm séparés par des traverses pleines avec un magasin à mutions sous roc, une batterie de 2 canons de 90 mm sur affut de campagne et une batterie de 3 mortiers de 27 cm modèle 1887 sur affût PC (orientés vers le nord-nord-ouest) dotée d’un magasin à munitions sous roc ; à l’est, deux batteries pour 4 canons de 95 mm en plate-forme double.
Durant la Première guerre mondiale, les canons de gros calibre sont démontés et envoyés sur les champs de bataille terrestre tandis qu’un camp est installé sur l’île par la Belgique pour interner des soldats flamands.
Dès leur arrivée à Saint-Malo en juin 1940, les Allemands s’intéressent tout naturellement aux infrastructures militaires et portuaires. En 1942, une batterie de 6 canons de 194,4 mm Mle 1870-93 Schneider est implantée sur l'île Cézembre. Ces canons français de récupération, disposés en encuvement, peuvent tirer à 360 degrés avec une portée maximum de 18 km et ce, avec une cadence de tir de quatre coups par minute. Entre 1943 et juin 1944, trente-cinq bunkers sont construits sur l’île dont un poste de direction de tir de type 157 (1325 m3 de béton) couplé à un bunker-abri de type 635, des soutes à munitions (type 302) et des bunkers-abris (type 622) ce qui en fait l’ensemble fortifié le plus important de la Festung Saint-Malo. L’île Cézembre devient le « Stützpunkt Ostwall » numéroté "Ra 230". Pour la défense antiaérienne, on y trouve 6 canons de 7,5 cm Flak, 2 canons de 4 cm Flak 28, 2 canons de 2 cm Flak 38, 2 canons de 2 cm Flak 28 et deux projecteurs de 150 cm de diamètre. Un bunker de type 158 abrite un canon de 15 cm en encuvement pour tirer des fusées éclairantes.
Lors de la bataille de Saint-Malo, les canons de 194 mm de Cézembre tirent sur les troupes américaines. A partir du 6 août, l’île est intensément bombardée par la terre, le ciel et sans doute la mer. Des bombes incendiaires au napalm et au phosphore sont employées. La garnison de soldats allemands et italiens, commandée par l’Oberleutnant der Reserv Richard Seuss ne se rend que le 2 septembre 1944 alors que la reddition de la Festung Saint-Malo a été conclue le 17 août.
De 1944 à 2017, l’île Cézembre, propriété de l’état, est gérée par le ministère de la Défense. Classée dès 1945, l’île Cézembre constitue un remarquable refuge ornithologique pour les pingouins torda, guillemots de Troïl, macareux, cormorans, goélands marins, bruns et argentés. Parsemée de centaines de cratères, elle est interdite au public en raison des risques pyrotechniques à l’exception de sa plage orientée vers le sud et du restaurant "Le repaire des Corsaires" qui la domine. Une cale permet de débarquer. L’île fait l’objet de plusieurs campagnes de déminage notamment lors des grandes marées d’équinoxe (en 2008, la plage est ainsi dépolluée sur 3 m de profondeur).
Après une importante opération de déminage en mars 2017, l’île de 9,5 ha a été acquise par le Conservatoire du littoral le 18 octobre 2017. Elle est gérée par le Département d’Ille-et-Vilaine. Un sentier de découverte de 1300 m de longueur, délimité par des clôtures et doté de signalétique, a été aménagé pour valoriser les patrimoines naturel et culturel maritime de la partie ouest de l’île. Cézembre n'est cependant toujours pas complètement dépolluée et l'accès à la plus grande partie de l'île demeure interdit. Plusieurs pièces d’artillerie - dans leur état de septembre 1944 - sont conservées sur site.
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.