La pêche de la sardine à Locquémeau : témoignage écrit de Yves Audren, 1954 :

Les sardines apparaissent généralement dans la baie de Lannion vers la fin du mois de juin lorsque la mer commence à se réchauffer ; elles quittent la baie vers le début du mois de novembre dès l'apparition des premiers froids. C'est une pêche saisonnière comme la pêche du maquereau. Elle commence à Locquémeau vers le début du mois de juillet et dure jusqu'à la fin du mois d'octobre.

Le type de filet en usage chez les pêcheurs de Locquémeau est le filet droit, dit encore dérivant, c'est le type le plus courant. C'est une nappe rectangulaire en fil de coton très fin, mesurant quarante mètres de longueur et dix mètres de large. Cette nappe est teintée en bleu par un bain de sulfate de cuivre qui rend le filet peu visible une fois tendue en mer. Au moyen de deux galets fixés aux extrémités de la ralingue inférieure et de lièges fixés à la ralingue supérieure, on dispose ce filet dans un plan vertical à la traîne du bateau.

Cette pêche oblige le pêcheur à posséder un jeu de filets de "moules" différents. Le "moule" est la longueur calculée en millimètres comprise entre cinq noeuds du filet en extension complète. Pour exemple, le moule 64 correspond au côté de la maille : 64 : 4 = 16 mm.

En réalité, il n'y a que très peu de différence, non visible à première vue, entre deux filets de moules différents. Cependant, les pêcheurs peuvent "perdre leur pêche" à cause du moule trop grand ou trop petit de leur filet.

Comme appât on emploie de la rogue composée d'ovaires de morues préparés et conservés en saumure dans des barils. Cette rogue est importée d'Allemagne et principalement de Norvège. Elle est mélangée à des tourteaux d'arachide, pour faire de la boëtte. De la qualité de la rogue dépendent les résultats de la pêche. Les rogues doivent être constituées par des "graines" nombreuses et bien formées.

Durant la dernière guerre, la rogue rare était remplacée par un mélange de crabes cuits, de coquillages, de pommes de terre cuites, le tout mouliné finement, mais avec des résultats moindres.

Les pêcheurs emploient également comme appât la "mnuse", pêchée à marée basse sur la côte de Saint-Michel en Grève. Cet appât est excellent surtout lorsqu'il commence à être vieux.

Les pêcheurs n'iront que rarement tenter leur chance dans les endroits où "la sardine n'a pas encore donné", selon leur expression, ils tiennent compte des pêches précédentes pour tendre leurs filets.

Pour la pêche à la sardine, chaque bateau a une ou deux annexes qui sont des canots de deux mètres de long environ. La pêche se fait du canot tandis que le bateau croise dans les parages, prêt à subvenir aux besoins du canot en rogue ou en filet.

Dans le canot, deux hommes suffisent. L'un "tiendra la canot bout au vent", c'est à dire qu'il ramera de telle sorte que le canot avancera dans la direction opposée à celle du vent, pendant que le pêcheur debout à l'arrière, file le filet, tout en jetant de la boëtte à droite et à gauche pour attirer la sardine. Le filet dérive dans la direction du vent, alors que derrière le canot se forme une traînée huileuse (la "lime"), qui est due à l'appât.

Le rôle du rameur est de tenir le filet au milieu de la "lime" pour que l'ensemble du filet soit appâté. Savoir tenir bout au vent demande de l'expérience. Le filet devant toujours être à pic. Si l'on rame trop vite, la ralingue inférieure remonte un peu, les mailles se ferment, et les chances diminuent ; mais il ne faut pas non plus "nager" trop lentement car le filet se ramasse alors en paquet. Il faut aussi agir avec la même force sur l'un et l'autre des avirons, sinon, la queue du filet sort de la lime en même temps que le filet se met à plat.

Le pêcheur à l'arrière appâte toujours de part et d'autre du filet, tout en observant les alentours. Lorsque la sardine est en profondeur, et qu'elle va "lever", elle est annoncée par un bouillonnement intense. C'est maintenant que va commencer le travail du pêcheur qui appâte, et ici, il faut également de l'expérience.

Si la sardine, une fois levée, se présente des deux côtés du filet, tout est pour le mieux. Le pêcheur appâte alors le long des lièges. La sardine se précipite sur la rogue dont elle est très friande, donne dans le filet et se maille par les opercules.

Au contraire, si la sardine ne se présente que d'un seul côté du filet, le pêcheur essaie, à l'aide de l'appât, de l'attirer des deux côtés. Une grave erreur qu'il ne faut pas commettre est d'appâter abondamment le long des lièges, la sardine se maillant alors d'un seul côté, et exerçant une telle poussée que le filet se met à plat.

Lorsque la sardine "travaille" bien, les lièges s'enfoncent dans l'eau et des écailles remontent à la surface. Le pêcheur augmente la quantité de rogue projetée en tenant compte des mouvements du filet qu'il faut toujours tenir dans la lime ; ce qui n'est plus très facile car la sardine dérange le filet.

Quand le filet est arrivé assez lourd, ce qui se reconnaît aux lièges qui s'enfoncent dans l'eau, le pêcheur resté dans le bateau arrive et hâle le filet plein à bord, tandis que dans le canot, le pêcheur met un autre filet à l'eau.

Quelque-fois la sardine, même présente, ne peut être vue par le pêcheur. Celui-ci devine alors sa présence si, en appâtant le long des lièges, le filet s'enfonce dans l'eau.

Le courant est souvent le facteur d'une mauvaise pêche car il entraîne la ralingue inférieure et le filet se met à plat.

Lorsque la pêche est terminée, après avoir duré de une à trois heures, le bateau met le cap aussitôt sur le port.

Yves Audern, Mémoire d'étude, Ecole Normale, "Locquémeau, port de pêche", 1954.

La pêche de la sardine :

Déjà en 1898, Charles Le Goffic évoquait dans son texte "Nos sardiniers" le fait que la sardine de rogue ne remontait pas dans la Manche au-delà de l'embouchure du Guer. Il qualifiait cette technique de pêche comme l'une des plus curieuses et des plus pittoresques qui soient, et apportaient des précisions sur cette technique :

On la pratique généralement sur de grands canots non pontés de deux tonneaux au maximum, montés par cinq hommes d'équipage et un mousse. Les bateaux appareillent pour la pêche à chaque marée ; si le vent est bon, ils mettent à la voile et, rendus sur le terrain de pêche, abattent voiles et mâts, pour les remplacer par de grands avirons de près de dix mètres qui servent simplement à maintenir le bateau debout à la lame. Quand l'endroit semblait propice, le patron donnait un signal ; les mâts étaient abattus ; les hommes saisissaient leurs avirons et se mettaient à "nager" doucement presque sans bruit. Les filets rapidement débrouillés étaient tendus à l'arrière : ce sont des quadrilatères de dimension variée, mais qui ne dépassent pas généralement 15 m de long sur six ou 8 m de large et dont la ralingue supérieure est munie de liège.

Le Goffic précise que les filets sont tannés de couleur bleu et tissés dans un fil très léger. Il rajoute que d'autres filets ont été un temps utilisés, formant un grand demi-sac fermé par le bas et ouvert sur le côté au moyen d'une coulisse. Ce filet était manoeuvré par deux barques, tandis qu'une troisième au milieu, jetait un peu d'appât pour attirer le poisson. Mais le gouvernement interdit ces grandes "seines" trop destructrices.

Les filets, une fois à l'eau, le patron de chaque barque se place debout à l'arrière, tandis que le reste de l'équipage se penche sur les avirons et les manoeuvre avec une lenteur calculée. Chaque patron a près de lui deux barillets, l'un chargé de « gueldre », où il puise d'abord, l'autre rempli de rogue. C'est avec ce dernier appât qu'on prend la sardine ; mais il coûte extrêmement cher. Pour économiser cette rogue (fabriquée avec l'ovaire des morues), ils commencent donc par jeter un peu de gueldre dans l'eau pour connaître l'emplacement de la sardine. Cette gueldre est une sorte de bouillie faite sur place avec des crevettes grises et des coquillages broyés. Elle a l'avantage de "faire lever" la sardine. On s'aperçoit rapidement de sa présence à certains éclairs argentés, qui rayent les profondeurs, mais aussi aux bulles d'air que la vessie natatoire du poisson laisse s'échapper en "levant". Quand l'habilité du pêcheur fait en sorte de mailler la sardine et que l'on juge que le filet est assez chargé, il est retiré, et l'on met un autre à l'eau. Chaque embarcation possède, en effet, plusieurs "moules" différents. Il y a deux filets de chaque moule ; on adopte un moule de préférence à un autre, suivant que la sardine est plus ou moins grosse. Tandis que le second filet est à l'eau, les pêcheurs procèdent rapidement au démaillage. Deux hommes y suffisent ; ils prennent le filet brasse par brasse et le secouent pour faire tomber le poisson. La sardine étêtée ne sera pas vendue ; elle servira le soir pour faire la soupe de l'équipage. Les marins peuvent revenir avec 20 000 sardines ou rien du tout. La pêche dure 3 heures et autant pour le retour selon le vent. Cependant, en dehors des dangers de navigation, en particulier par temps de brume, la concurrence étrangère est forte, en particulier par les produits américains ; pour pallier à cette situation, le gouvernement levé des taxes et fait adopter la sardine pour l'alimentation des troupes.

Le Goffic termine son rapport en évoquant le traitement du poisson pour la conserve alimentaire :

La sardine, sitôt apportée à terre, est étêtée au moyen d'un couteau de bois, qui lui enlève en même temps les intestins ; on la passe ensuite à l'eau douce, puis on la fait sécher sur des claies en fil de fer. Ces claies sont alors plongées dans l'huile bouillante. Après quoi, le poisson est égoutté, jeté en vrac sur de longues tables où deux files d'ouvrières s'occupent à le ranger dans des boites. Quant ces boîtes sont pleines, on les porte sous des robinets d'huile ; on les soude, on les ferme et on les range dans de grandes caisses, qui prendront toutes des directions connues. Quant aux têtes et aux intestins restants, ils seront vendus comme engrais aux fermiers du littoral. Ainsi rien ne se perd de la sardine, et tout le monde y trouve son compte, à l'exception des pêcheurs.

Témoignage de Bernadette Lojou :

Bernadette Lojou-Beauchard est la fille de François Lojou, patron à la petite pêche, marin-pêcheur de Locquémeau (1901-1978), propriétaire de la "Sainte-Anne" puis de la "Jeanne d'Arc". Elle se souvient de certaines chroniques de la vie maritime de son père. Joseph Dafniet a pêché avec François Lojou au chalut à perche et à la sardine. François Lojou a reçu une médaille de bronze pour le sauvetage en mer de deux marins-pêcheurs entre Saint-Jean-du-Doigt et Locquirec le 13 novembre 1931.

La "Jeanne-d'Arc" avait fait une pêche miraculeuse au Yaudet dans la baie de la Vierge en pêchant plusieurs 80 tonnes de poisson.

Lorsque la pêche à la sardine donnait juste après la guerre 1939-45, les jeunes femmes de Locquémeau travaillaient à l'usine Collet. C'était Madame Collet qui assurait la direction à cette époque. Les pêcheurs utilisaient des seaux, des paniers et des civières pour transporter le poisson de la cale à l'usine. Ils étaient payés à la semaine, après que le prix de la rogue (acheté à l'usine) leur ait été déduit. Les équipages étaient nombreux ; la sardine donnait du travail à tout le monde. A la forte saison, les Douarnenistes venaient avec des pinasses et des "doris". Leurs bateaux mesuraient 10-12 mètres, gréés, ils accostaient au petit quai et dormaient à leur bord. Les sardines fraîches étaient grillées dès le matin. Les filets étaient ramendés par les femmes au Vorlenn. Il y avait des cafés sur la route du port au bourg.

En début de saison, les mailles étaient plus petites pour l'arrivée de la petite sardine et ensuite plus grosses. L'essence était distribuée pour les bateaux au port avec la surveillance du garde-maritime. Beaucoup de marins de la marine marchande venaient faire la sardine pendant l'été. Il y avait un peu d'animosité avec les mareyeurs sur le prix d'achat et de vente du poisson.

Dans les années 1940-1950, on pêchait le sprat à la senne avec un canot sur la plage de An Aod Vras, la grande plage, on mettait des filets de pose à Beg Léguer, Pors Mellec, sur la plage de Saint-Michel, avec des chevaux pour tirer.

En 1956, la dernière pêche à la sardine a été vendue à Trébeurden, dans la rue.

Le démaillage des filets :

Dans le bateau, au port, deux hommes face à face démaillent la sardine en imprimant au filet tendu en nappe des secousses régulières. Ce démaillage se fait méthodiquement. Une fois au port, le poisson est déchargé à l'aide d'une civière, lavé et vendu en partie aux mareyeurs qui le vend dans les marchés avoisinants. Le reste ainsi que la marée du soir sont vendus à la coopérative et à la conserverie.

Témoignage de Yves Audern à la fin de la pêche de la sardine en 1954

Pour cette pêche les pêcheurs sortent en général deux fois par jour en mer. Le matin, ils quittent le port vers les trois ou quatre heures et reviennent vers neuf heures et retournent à la nuit tombante. Les pêcheurs estiment que les meilleurs moments pour cette pêche sont le lever et le coucher du soleil. Lorsque cette pêche rend bien, il n'est pas rare de voir des cargaisons atteignant deux cent ou trois cent kg et parfois même six cent kg. Malheureusement, la pêche de la sardine est souvent irrégulière, aussi la voit on varier non seulement d'une embarcation à une autre, mais également d'une année à une autre. On a pu constater ce point depuis la dernière guerre. Les années 1945-1946 et 1947 furent bonnes. En 1948, la saison fut mauvaise ; cela fut attribué à la chaleur et à la transparence de l'eau. Les saisons suivantes ne confirment nullement cette opinion car elles ne furent pas merveilleuses bien que le temps n'ait pas été toujours des plus beaux.

Il faut noter la présence de thons et de bélougas qui effraient la sardine, détériorent les filets et qui sont un facteur de mauvais rendement.

La saison 1954 s'annoncera aussi mal, les fournisseurs de rogue n'en possèdent presque plus, la pêche à la morue n'ayant pas rendu pendant l'année 1953 ; d'autre-part la rogue française est peu abondante et de qualité médiocre. La sardine pose cependant un problème, celui de son écoulement. Une faible partie est absorbée par les marchés environnants sous forme de sardine fraîche, la pêche à la sardine suppose donc la présence d'une conserverie pour absorber l'excédent. Or, l'apport de sardines est irrégulier et, à certains moments les arrivages énormes ne peuvent être absorbés par le conserveur, le pêcheur doit alors vendre sa sardine à des mareyeurs à des prix dérisoires. D'autre part, si au début de la saison les sardines sont petites (moule 44-58) et propres à être mises en conserve, à la fin de la saison, elles sont grosses (moule 60-68), moins bonnes que les premières pour être mises en boîtes, aussi leur prix de vente baisse. Cette pêche devient alors pour les pêcheurs une source de déception et d'amertume.

Tonnages pour les années 1945-1953 :

1945 : 250 t

1946 : 300 t

1947 : 240 t

1948 : 70 t

1949 : 26 t

1950 : 128 t

1951 : 30 t

1952 : 90 t

1953 : 110 t

En 1954, la sardine va disparaître jusqu'à ce jour de la baie de Lannion.

La pêche des maquereaux :

La pêche des maquereaux met à profit l'atterrissage des bancs de maquereaux sur la côte vers la fin du mois d'avril, en baie de Lannion, lorsque la mer commence à se réchauffer. C'est une pêche de caractère saisonnier. Elle est pratiquée à Locquémeau à partir du mois de mai jusqu'à la fin septembre, où le maquereau quitte la baie.

Le maquereau se pêche à la traîne, soit au mouillage, ce qui est plus fréquent. Le lieu de mouillage importe peu, mais les pêcheurs préfèrent cependant la baie de Saint-Michel-en-Grève.

Pour attirer le poisson, on emploie des poissons broyés, des crabes écrasés, que l'on mélange à du tourteau et à des graines oléagineuses. L'hameçon est esché avec des "vers blancs" (néréides des sables). Ils sont peu abondants à Locquémeau et les pêcheurs sont dans l'obligation de se rendre aux grèves de l'Île-Grande pour les chercher à l'aide de crocs. Ils rapportent avec eux de quoi faire 4 ou 5 marées.

Suivant le courant et la profondeur à laquelle se trouve le poisson, on met plus ou moins de plomb sur la ligne. Il ne faut pas en mettre de trop car le maquereau est généralement à la surface. On file environ 8 à 10 brasses de ligne. Cette ligne est en crin de cheval, confectionnée par le pêcheur ; le bas de ligne est en nylon. C'est une ligne au doigt, aussi chaque pêcheur en a deux.

Parfois en même temps que les maquereaux abondent les « pironneaux » (petites dorades) ou les chinchards qui dévorent l'appât ; mais qui n'ont pas la taille nécessaire pour la vente. Ils sont souvent la cause d'une mauvaise pêche. Pour y remédier, le pêcheur appâte alors l'hameçon à l'aide de morceaux de la peau de maquereau, que ne semblent pas apprécier les « pironneaux ». Cette pêche se pratique de préférence tôt le matin pour la vente par les femmes de pêcheurs. En 1943, un pêcheur, suivant les conseils d'un Anglais, fit des essais qui ne furent pas concluants de pêche du maquereau avec des plumes fixées aux hameçons. Cette méthode fera cependant plus tard des adeptes (d'après le témoignage écrit de Yves Audern, 1954).

La pêche du thon et du bélouga :

Depuis 1946, la pêche du thon rouge et du squale se pratique dans la baie de Lannion. Ces poissons y abondent lors de la saison sardinière. En effet les thons et les bélougas suivent les bancs de sardines et arrivent avec celles-ci sur les côtes de Locquémeau.

C'est une pêche sportive à laquelle s'adonnent les estivants. En 1946, un spécialiste américain de la pêche du gros poisson s'installa à Trébeurden en vue de la pêche du thon et lança cette "mode". Pour cette pêche, on installe une chaise tournante à l'avant du bateau. La chaise est garnie d'un godet à cardan où se loge le talon de la canne. En outre, un harnais à larges sangles, prenait les épaules du pêcheur et venait se fixer à la canne par deux mousquetons pour complèter le matériel. Ainsi équipé, le pêcheur est solidaire de son matériel et peut "travailler" le gros poisson non seulement avec les bras mais aussi avec les épaules, le dos et presque tout le corps.

La canne est courte (2 m environ) et très robuste. Le moulinet est garni de 450 m de fil spécial, la bas de ligne est en corde à piano ou en nylon tressé. La pêche du thon va de pair avec la pêche de la sardine. Lorsque le pêcheur de sardine voit le thon ou le bélouga, il fait signe au pêcheur de thon qui est dans les environs. Le pêcheur s'installe alors sur le siège, appâte l'hameçon de deux sardines ou d'un maquereau vivant et file sa ligne. Lorsque le poisson a mordu, le pêcheur résiste tandis que le moulinet donne et/ou freine du fil. Lorsqu'on a filé de 200 à 300 m de fil et que le poisson est fatigué, la lutte commence pour remonter le poisson à bord, le hisser ensuite avec une gaffe et l'assommer avec un coup de maillet ou de barre de gouvernail sur la tête. Le bélouga est plus vorace et moins habile que le thon pour se laisser prendre à l'appât ont constaté les pêcheurs. Lors de la pêche à la sardine, le bélouga n'hésite pas rentrer dans le filet et par conséquence l'endommage, alors que le thon reste autour du filet. La pêche du thon et du bélouga est donc bénéfique pour les pêcheurs de sardines (d'après le témoignage écrit de Yves Audern en 1954 et le témoignage oral des pêcheurs locaux retraités en 2003).

La pêche du lieu :

Le lieu se pêche surtout en hiver et au printemps à la traîne. Le bateau navigue à faible allure, l'hameçon est muni d'un caoutchouc et d'un émerillon permettant au caoutchouc de tourner sans que la ligne se tortille. Le bas de ligne est muni d'un plomb assez lourd (500 g) pour empêcher la ligne de remonter à la surface. Le poisson se fait prendre au leurre. Cette pêche se pratique dans les courants et dans les zones rocheuses, les "bosses". C'est une pêche de spécialiste.

Le lieu se pêche également au mouillage, mais, il ne s'agit pas de "mouiller" le bateau n'importe où dans la baie.

Le lieu se trouve sur des "bosses" connues des pêcheurs qui les repèrent à l'aide d'alignements pris sur la côte voisine.

L'hameçon est esché avec des gravettes, communément appelés "vers rouges", et que l'on trouve dans le sable. La ligne est encore une ligne au doigt, en crin de cheval. Le bas de ligne est en nylon, muni d'un plomb. Chaque pêcheur emploie deux lignes.

Le poisson, s'il a été accroché entre deux eaux, commence par piquer au fond ; on laisse alors la ligne se dérouler, tout en la surveillant de l'index. Le lieu lassé de son effort se laissera remonter. S'il reprend haleine, il renouvelle sa descente : même tactique, filer puis haler. Le lieu une fois à la surface, le promener en rond, la main aussi près que possible de l'hameçon, puis on lui glisse l'autre main sous les branchies et on peut à ce moment l'embarquer.

Les bateaux sortent le matin pour cette pêche et rentrent le soir. Le lieu est absorbé par les marchés local.

Remarque : le merlan se pêche au mouillage comme le lieu sur des fonds sableux ou rocheux (d'après le témoignage écrit de Yves Audern, 1954).

Le mode de rétribution à la pêche pratiqué à Locquémeau :

Les pêches principales pratiquées à Locquémeau dans la première moitié du 20ème siècle sont la pêche de la sardine et la pêche des oursins. Suivant les années, la pêche du maquereau a également une grande importance, celle-ci se plaçant entre la pêche des oursins et la pêche de la sardine dont les durées sont variables. Seule la pêche de la sardine réclame un équipage plus nombreux ; cependant, le bateau utilisé et nécessaire reste de taille modeste, entre 5 et 7 mètres de longueur. Mais la manoeuvre des voiles au tiers et la pêche au filet droit ou celle du chalut à perche, demande plusieurs bras.

Quels que soient les types de pêche, les équipages des bateaux sont rétribués à la part. Cette rétribution a lieu toutes les fins de semaine, généralement le samedi. Ce jour là, le patron règle ses comptes avec les mareyeurs à qui il a vendu son poisson. On retire d'abord des revenus bruts les frais de pêche : essence, rogue, farine. Le reliquat est divisé en parts égales. Chaque pêcheur a une part (autrefois, on faisait une distinction : le mousse n'avait qu'un quart de part, le novice une demi part ou 3/4 de part). Le patron en plus de sa part personnelle a une seconde part pour le bateau et une troisième part pour ses autres frais (apparaux de pêche). Les équipages sont souvent au nombre de deux hommes et d'un mousse, seule la pêche à la sardine nécessite un équipage nombreux de cinq hommes.

La pêche aux casiers :

Cette pêche commence en hiver pour se terminer au début de l'été. Dans les casiers on capture des homards et des araignées.

Les casiers à araignées sont en osier, ils ont la forme d'une demi-sphère. Le casier repose sur sa partie plate ; l'ouverture nommée "cou" est la partie supérieure. Ce cou a un diamètre de 25 cm et la forme d'un manchon cylindrique. Le cou pénètre à l'intérieur du casier enlevant à l'araignée toute possibilité d'en sortir par ses propres moyens.

Le casier à homards ne diffère que peu des précédents : seul le cou est moins large. Certains casiers à homards sont en fer et sont recouverts d'un treillage métallique. Ils ont une forme demi-cylindrique et deux ouvertures placées aux sections. Ils sont plus pratiques que ceux en osier : une petite porte permet de retirer les homards ; ils donnent également de meilleurs résultats mais les pêcheurs préfèrent les casiers en osier qu'ils fabriquent eux-mêmes. Chaque casier est lesté avec des galets. L'appât composé de morceaux de poisson est porté par deux tiges transversales.

Les casiers sont mouillés sur des fonds rocheux le long de la côte. On y fixe des bouées à l'aide d'orins, ce qui permet de les repérer et de les relever. Les casiers sont visités une fois par jour et leurs prises sont conservés dans des viviers en bois, en attendant la vente. Cette pêche est également réglementée. Le règlement prévoit 3 ou 4 cm entre les lattes du casier.

La pêche aux cordes :

La pêche aux cordes se pratique également à Locquémeau. Les pêcheurs utilisent des cordes de 200 à 300 mètres. Ces lignes sont munies d'avançons espacés d'un brasse environ ; à ces avançons sont fixés les hameçons. Le plus souvent les hameçons sont eschés avec des morceaux de pieuvre, abondantes sur nos côtes (jusqu'en 1968 où un plus hiver rigoureux va les décimer). C'est surtout des congres que l'on pêche avec ces cordes ainsi que des roussettes.

Arrivés sur les lieux où ils doivent tendre les lignes, les pêcheurs filent celles-ci. A l'une des extrémités de la ligne est amarré un grappin sur lequel est frappé un orin de bouée pour indiquer la position de la ligne. A mesure que le canot dérive sous le vent, les pêcheurs continuent à filer l'engin. Une fois que la ligne est filée, on fixe un second grappin à l'autre extrémité ; sur ce grappin est aussi amarrée une bouée. Ces lignes sont relevées tous les jours et rapportent de très beaux congres de 15 à 20 kg (d'après le témoignage écrit de Yves Audern, 1954).

La pêche aux oursins :

La pêche aux oursins s'est développée depuis 1947 à Locquémeau et est devenue le gagne-pain des pêcheurs de Locquémeau pendant l'hiver. Avant 1947, cette pêche n'avait que peu d'importance car il n'y avait pas de débouchés.

Dès que les oursins sont propres à la vente, c'est à dire quand ils ne sont plus laiteux, les pêcheurs commencent la pêche. Elle débute en novembre et peut se prolonger jusqu'au mois de mai.

Les oursins se pêchent en draguant les fonds rocheux. Les endroits les plus favorables pour cette pêche sont : toute la côte de Locquémeau, la pointe de Plestin, les plateaux de Locquirec, le Taureau, la Crapaud et les abords du phare des Triagoz.

Le bateau marche à petite allure et traîne derrière lui plusieurs "fauberts". Ces fauberts sont faits de vieux filets, quelques maillons de chaîne les alourdissent et leur permettent de racler le fond. Les oursins s'accrochent à ces filets par leurs piquants. Ces fauberts sont relevés toutes les cinq ou dix minutes puis immédiatement rejetés à la mer.

Dans une marée chaque pêcheur peut pêcher en moyenne 50 kg d'oursins. Cette pêche se pratique de préférence à marée basse. Elle est dangereuse quand la mer est agitée car les lames risquent de rejeter les bateaux sur les récifs qu'ils doivent longer.

Les oursins ne trouvent pas de vente sur le marché local. Ils sont expédiés à des mandataires de Paris par le train du soir.

Voici quelques tonnages pour les années suivantes :

1950 : 51 tonnes

1951 : 48 tonnes

1952 : 60 tonnes

1953 : 65 tonnes

D'après Yves Audern, "Locquémeau, port de pêche", 1954.

Inventaire du patrimoine naval des Côtes-d'Armor, 1994, Inventaire Régional :

Nous avons pris en compte dans notre inventaire les bateaux de plus de 30 ans d´âge, mais aussi certaines coques plus récentes, en raison de l´évolution des techniques de pêche et des mutations importantes et brutales d´une économie maritime, caractérisée par la polyvalence des bateaux de pêche côtière et le partage obligé du DPM, entre plusieurs producteurs et utilisateurs de la mer.

50 % des bateaux de pêche naviguent dans la zone des 3 milles nautiques et les autres dans la zone des 12 milles.

En 1989, la pluri-activité de la filière pêche s´exprimait autour de 3, 3 métiers pratiqués sur le quartier de Paimpol et 2, 8 métiers sur le quartier de Saint-Brieuc, avec une moyenne de 9,7 mois d´activités pour les Côtes d´Armor.

Les ports de pêche les plus actifs du département sont Loguivy de la mer et Erquy.

Typologie des pêches :

Les bateaux de moins de 9 mètres assuraient 60 % des revenus du pêcheur avec 100 jours de pêche par an en 1993.

Les outils de pêche :

Drague : coquilles Saint-Jacques et praires

Casiers : gros crustacés et araignées, crevettes et bulots

Filets : araignées, poissons

Lignes ; bars, lieux

Palangres : congres et poissons fins

Ce sont les pêches typiques du quartier de Paimpol.

Emergent ensuite les fileyeurs-dragueurs de 9-10 m et plus (-16 m), qui remplacent progressivement les petites unités dans une polyvalence, associant la pêche aux araignées et tourteaux, au filet, et le dragage des coquilles Saint-Jacques et autres bivalves.

Quant aux unités de moins de 9 m, elles pourront se renouveler uniquement dans le cadre de « plans zonaux », pour le secteur de la petite pêche.

30 % des unités des Côtes d´Armor faisaient moins de 7 m et occupaient en 1993 37 % des emplois.

C´était la 2 ème embarcation des marins-pêcheurs, qui devait être remplacée par un bateau unique plus grand et polyvalent

Les bateaux de pêche du quartier de Saint-Brieuc sont relativement plus grands que les bateaux « paimpolais », à l´ouest de la baie de Saint-Brieuc.

Ils pratiquent :

la drague à la coquille Saint-Jacques et aux bivalves

le chalut de fond en baie et hors baie

le casier aux mollusques

Une vingtaine de bateaux de plus de 20 mètres opèrent à plus de 12 milles des côtes, au large et dépendent du quartier de Saint-Brieuc. Ce sont des navires récents, dépendant du quartier de Saint-Brieuc, issus d´armements coopératifs. Il fait préciser que le chalutage en baie de Saint-Brieuc est aujourd´hui interdit.

La coquille Saint-Jacques est le produit, l´espèce majeure dans le calendrier de la flotte côtière. Elle demeure l'une des espèces majeures en terme de stratégie d´exploitation (elle concerne 68% des patrons des Côtes d´Armor).

L´enjeu de la production pour la filière, reste l´appel du large, le chalutage hors baie par des unités supérieures à 16 m, pour renouveler l´actuelle flottille des 14-16 m, chalutiers-coquilliers.

Les Côtes-d´Armor renouvellent depuis 10 ans leur industrie des pêches, en apprenant à mieux gérer leur pêcherie, leur territoire de pêche (quotas, permis d´exploitation, formation des marins), en réorganisant leurs filières autour de nouvelles criées (Saint-Quay-Portrieux), en valorisant leur production en aval de la filière (labellisation du homard, du bar de ligne, de la coquille Saint-Jacques), en devenant peu à peu des « exploitants biologiques de la mer ».

Conséquences sur les chantiers navals et la construction :

Les bateaux actuels plus performants, aux coques rapides semi-planantes pour certaines pêches (casiers-filets-lignes), en aluminium ou en polyester, remplacent progressivement les bateaux classique de construction bois.

Les chantiers navals bois adoptent des formes plus pleines, adaptées à une motorisation de grande puissance, en privilégiant les qualités de structure davantage que les qualités de formes et certaines qualités nautiques. La construction sur gabarits domine la profession et freine certainement les innovations et les possibilités de création nouvelle pour la pêche et la plaisance (construction en bois moulé, en époxy ou en lattes).

Ces chantiers moins nombreux ont disparu des petits ports et se concentrent aujourd´hui principalement à Paimpol et à Saint-Quay-Portrieux.

Ces chantiers « bois » travaillaient davantage sur gabarits que sur demi-coque. Ces gabarits ont souvent été détruits. Les chantiers, entre les deux guerres, du 20 ème siècle ont laissé peu de traces matérielles de leur mode de production. Les bateaux de plus de trente ans restent encore les seuls témoins d´une technologie navale, d´une architecture maritime et de son évolution.

La construction à franc bord et sur lisses domine.

Il faut préciser qu´il y a peu de tradition de construction pour la plaisance en Côtes-d´Armor, en comparaison du Finistère (hors le chantier Tocqué à Pléneuf-Val-André et le chantier Clochet à Plouguiel).

D´autre part, les différents plans de retrait des bateaux de pêche (depuis le premier plan Mellick en 1992) ont considérablement diminué le nombre des constructions classiques en bois. Les affaires maritimes ont aussi demandé de « nettoyer » les cimetières à bateaux improvisés, pour l´aménagement des plages.

Véritables sanctuaire d´un milieu socio-économique professionnel, déjà sinistré par la raréfaction de la ressource et par le nombre d´emploi perdu, les cimetières à bateau se font rares. Lieu témoin d´une technologie savante mais aussi de la sollicitude des hommes envers un outil de travail familier, « les reposoirs à bateau » pourraient avoir un rôle « ethno-pédagogique » et de veille patrimoniale sur ces dernières coques de travail.

Ces bateaux abandonnés portent encore le témoignage de leurs techniques de construction, des formes navigantes adaptées à la contrainte du lieu physique de navigation et d´échouage, des techniques de pêche et de charge (avec le gréement correspondant), enfin des pratiques nautiques et halieutiques d´hier, avec les manoeuvres correspondantes.

D´autre part, on ne peut concevoir un inventaire, sans que soit relevés en même temps, non seulement les engins de pêche, qui accompagnent ces navires, mais également la mémoire des gens de mer, pour une culture à la fois scientifique et technique, mais aussi des témoignages sensibles et empiriques. Privés de ces savoirs qui ont guidé leurs formes, les bateaux qu´on pourrait protéger seraient réduits à l´état d´écorce et ne porteraient plus témoignage que d´eux-mêmes.

Statistiques des pêches de Locquémeau et corps social :

Trédrez- Locquémeau

En 1866, 7 % de la population vit directement ou indirectement de la pêche, alors que l'agriculture fait vivre 74, 17 % de cette même population (AD 22, 6 M 25). A la fin du 19ème siècle, les communes littorales ont encore une vocation agricole forte dans l'ouest du Trégor.

Nombre de marins en 1854 : 8 marins

Nombre de marins en 1861 : 12

Nombre de marins en 1871 : 25

Nombre de marins en 1900 : 58

Nombre de marins en 1904 : 106

Nombre de marins en 1909 : 147

Nombre de marins en 1911 : 151, soit la moitié des inscrits sur les listes électorales (AD 22, 3 M 103 et 104).

Le nombre de pêcheurs de Locquémeau représente en 1909 le quart des marins-pêcheurs inscrits dans le quartier de Lannion, juste avant Trébeurden (160) et Perros-Guirec (232), mais davantage que Lannion (137), qui comprend Servel et Ploulec'h.

Il faut encore remarquer que nombre de pêcheurs exerçaient une autre profession dans le quartier de Lannion, lorsque la sardine se faisait rare ; pour exemple en 1924, 40 % travaillaient la terre. Certains faisaient occasionnellement le pilotage, comme la famille Le Ballier de Locquémeau ou Le Pierres du Yaudet. D'autres vont s'embarquer au commerce surtout après la 2ème guerre mondiale. La pêche à pied est une activité qui attire près de 200 personnes régulièrement à Locquémeau en 1909, les 2/3 des pêcheurs du quartier de Lannion. La valeur du produit pêché à pied pour cette même année correspond environ à 8 % des gains d'un pêcheur en bateau. Mais ces revenus restent aléatoires, lorsqu'ils s'agit de la collecte des algues à pied et en bateau, selon la demande des cultivateurs.

Des lignées de marins-pêcheurs vont faire la réputation du port de Locquémeau entre le 19ème et la 1ère moitié du 20ème siècle.

Nous avons retenu les témoignages de Pierre Bonny, embarqués respectivement en 1950 avec ses trois frères sur les "Quatre soeurs", sur le "Scarwick", sur le "Myiosotis" et sur le "Temps perdu", Yves Lelous sur la "Frégate" et le "Temps perdu", Théophile le Ballier et son fils Joseph sur la "Marie" et le "Danaë", François Lojou sur la "Sainte-Anne" et la "Jeanne-d'Arc", Auguste Levier sur "Alice" et ses fils, Pierre-Marie sur les "Deux frères" et Yves-Toussaint sur le "Chéri de la Manche".

Ces familles de marins forment des familles très liées entre elles par des filiations matrimoniales, qui organisent les communautés et leurs intérêts sur des bases sociales et de travail. Les bateaux sardiniers avaient besoin d'un équipage nombreux tant pour la sardine, que pour les autres pêches comme le sable, le goémon ou le chalut à perche. Le système à la part permettait de rénumèrer chaque membre d'équipage. Les familles de pêcheurs habitaient des quartiers proches de la côte autour de Locquémeau.

L'activité de mareyage faisait vivre de nombreuses femmes de pêcheurs, qui parcouraient la campagne de Plestin-les-Grèves à Lannion et même jusqu'au Vieux-Marché et Belle-Isle-en Terre, avec leurs charrettes à bras. Dans ces conditions, les usiniers-mareyeurs entreprirent de demander avec le soutien de la commune de Trédrez au début du 20ème siècle que le "petit train" fasse un détour par la ligne Lannion-Plestin, pour s'arrêter dans ce centre de mareyage, le plus important de la baie, où travaillaient près de 30 personnes (hommes, femmes et enfants).

La situation après la 2ème guerre mondiale : on note d'abord une reprise de l'armement de 1944 à 1947, grâce à la pêche sardinière, puis une chute libre des effectifs de 1948 à 1953, où la pêche sardinière décline, enfin la reconversion des marins vers la marine de commerce jusqu'aux années 1980, où la crise de la marine marchande va diminuer les effectifs.

Les pêcheurs de Locquémeau dépendaient depuis le décret de 1795, hérité du modèle du 17ème siècle, du quartier de Lannion jusqu'en 1963, où ils furent rattachés à Paimpol, et au syndicat de Lannion-Saint-Michel (avec entre autres communes Ploulec'h, Ploumilliau et Tréduder). Un garde maritime ou syndic des gens de mer transféré de Saint-Michel à Locquémeau en 1945 traitait leur dossier et faisait la police des pêches. Les infractions étaient souvent constatées pour la pêche au chalut dans la zone interne des 5 milles nautiques.

Les bateaux furent d'abord immatriculés sous la lettre L au cours du 19ème siècle, puis en 1892 sous les lettres LAN, que l'on modifia en mars 1926 en LA.

Les hommes et leurs bateaux, usages, appropriation et représentations :

Les bateaux n'ont pas qu'une seule efficacité technique, mais sont aussi les éléments de systèmes complexes sociaux, économiques et symboliques. Ils représentent pour la communauté maritime de Locquémeau l'expression matérielle et symbolique d'une société de pêcheurs, où chacun, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes avait sa place, sa fonction (une tâche à remplir), son utilité sociale (à terre à l'usine, au traitement du poisson, à l'entretien des filets, sur la grève à la pêche de la « m'nuse » pour la boëtte, à quai et en mer pour les différents procces de pêche, en alternance saisonnière et d'équipage).

Dans cette société locale, la femme avait une place particulière, puisqu'on la retrouve aussi bien comme personne embarquée pour manoeuvrer aux avirons un canot goémonier, pour traiter le poisson d'un pêcheur qui lui est attitré, pour aller pêcher la boëtte, pour vendre le produit de la pêche.

Les bateaux ne sont pas que des outils navigants, des objets techniques, produits d'une fabrication, outils de navigation et de pêche, ils peuvent être étudiés en tant que lieu et objets de pratiques, d'usages, de croyances, expression d'une représentation du monde, intermédiaires matériels et symboliques entre les hommes et les milieux marins, symboles pour les uns d'un ordre "marin" différent de celui qui est appliqué à terre, espace de vie et de travail pour les autres.

Ces relations sont de nature technique, sociale et symbolique, religieuse (ex-votos, processions) et dépendent non seulement du bateau (de sa forme, de sa fonction), mais aussi de la situation professionnelle, économique (type d'armement, individuel, quirataire, familial) et de l'origine sociale de ceux qui les utilisent (patron-armateur, matelots).

Dans la communauté de pêcheurs de Locquémeau, dans la 1ère moitié du 20ème siècle, les bateaux sont la propriété d'un pêcheur-patron unique, qui transmet le bateau à son fils. Ces embarcations ont une durée moyenne de vie de 15-20 ans dans le 1er quart du 20ème siècle et de 30-40 ans dans le second quart ; ils sont utilisés à plusieurs métiers, la sardine, le chalut à perche, le maërl, le goémon et quittent rarement la baie de Lannion pour d'autres lieux, sauf l'exception du navire "Le Poilu". A la fin de leur carrière (qui est souvent celle du patron), ces bateaux sont brûlés et finissent rarement en épave.

La fermeture du dernier chantier naval de Locquémeau, Bergot, après la guerre 1939-45 marquera la fin d'une construction typique de ce port, construction inspirée des formes de "Carantec", qui sera remplacée par les bateaux issus des chantiers paimpolais pour des pêches moins spécifiques et motorisées.

Le gréement de flambart va disparaître, et avec lui tout l'art de la manoeuvre de ce type de voiles au tiers, qui faisait la fierté des pêcheurs de Locquémeau, vestige d'une voile de travail adaptée au métier du chalut et des filets droits, alors que la voile aurique avait déjà depuis le début du 20ème siècle supplanté le gréement de flambart ou de lougre.

Cependant, ces bateaux sardiniers de Locquémeau et leurs patrons sont restés dans la mémoire de ceux qui ont vécu et travaillé à bord. Ils représentent un système social et technique bien structuré et organisé, qui a apporté une certaine abondance à la communauté de marins-pêcheurs pendant près de 70 ans, en permettant l'aménagement du port et sa reconnaissance comme port de débarquement et centre de mareyage pour toute la baie de Lannion. Juste avant la 2ème guerre mondiale, le port de Locquémeau était le premier port de débarquement des Côtes-du-Nord.

Mais la fin de la pêche à la sardine au début des années 1950, n'a pas été dans un premier temps relayée par d'autres pêches aussi lucratives, sauf peut-être par les oursins et les grands crustacés, dont les ressources se sont vite épuisées. Les marins sont partis dans la marine marchande. Ceux qui sont restés ont acquis d'autres bateaux et se sont adaptés à des pêches moins techniques, plus faciles, comme le chalut, le filet ou les dragues. Aujourd'hui la drague à la coquille Saint-Jacques et les filets aux araignées ont remplacé les pêches anciennes.

L'hiver, le port est vide, les bateaux séjournent en baie de Saint-Brieuc, et l'été, les plaisanciers remplissent le port. Le groupe des pêcheurs a considérablement diminué et s'est dissout dans une société locale recomposée : une quinzaine de pêcheurs professionnels. Le "Caprice des flots" représente l'unique bateau de pêche permanent à Locquémeau en ce début du 3ème millénaire.

Les bateaux "traditionnels" ont remplacé les anciens bateaux de travail à la voile. Parfaitement isolés de tout contexte social et économique de leur passé, ils ne représentent qu'une partie de cette mémoire, à des fins souvent touristiques, rentabilité oblige ; au même moment disparaissent les métiers traditionnels de la pêche et du commerce, de la construction navale, face aux nouveaux occupants du littoral, qui eux exploitent ces nouvelles ressources marines.

Extraits des mémoires de Yves Allain de Trédrez-Locquémeau :

La pêche à la morue

Les soirées d'hivers étaient longues, très longues, mais ce sont celles qui ont marqué le plus ma mémoire et qui m'ont laissé les plus beaux souvenirs.

Après avoir dîné, on allumait dans l'âtre un magnifique feu avec de grosses bûches de chêne sur lesquelles on disposait des carrés de tourbe. La fumée de tourbe parfumait la maison d'une odeur âcre mais agréable.

Nous nous réunissions à 6 ou 7 autour de la cheminée et la veillée commençait. Elle était animée par deux personnages, deux conteurs merveilleux, sources inépuisables d'histoires et de contes d'origine bretonne ou germanique où s'affrontaient les génies du bien et du mal. Les deux artistes jouaient leurs rôles à la perfection et je voudrais vous les présenter. L'un s'appelait « Francès » et l'autre « Fanch Larcher ». Aussi brillant l'un que l'autre. Francès avait un physique assez bizarre. Son visage imberbe était à mi-chemin entre celui de l'homme et de la femme. Ses cheveux plats, collés sur son front et coupés à la « Jeanne d'Arc » lui donnaient une physionomie assez singulière. Quand on l'avait vu ne serait-ce qu'une fois on ne pouvait l'oublier.

Très jeune il embarquait sur un trois-mâts pour aller pêcher la morue sur les bancs de Terre-Neuve. La vie était très rude à bord et il avait beaucoup souffert. Le froid, le brouillard, la neige étaient leur lot quotidien. A cette époque la pêche ne se faisait pas au chalut mais à la ligne. Chaque matin, les matelots embarquaient deux par deux sur de frêles embarcations qu'on appelait des doris en emportant leur ration de nourriture et de boisson pour la journée. L'eau était glacée et les lignes en crin leur sciaient les doigts, provoquant des coupures excessivement douloureuses, à cause de l'eau de mer et qui se transformaient souvent en panaris.

Très souvent, les doris s'égaraient dans le brouillard et ne retrouvaient plus le trois-mâts. Les matelots étaient alors voués à une mort certaine. Les doris frôlaient parfois les grands paquebots transatlantiques qui se dirigeaient sur New-York et les marins transis de froid pouvaient entendre de joyeux airs d'accordéon, ajoutant ainsi un degré de plus à leurs souffrances. Heureux tout de même d'avoir échappé de justesse à un naufrage.

La vie à bord n'était pas plus drôle ! Les jeunes mousses subissaient les vexations de certains vétérans qui n'avaient aucune pitié de leur jeunesse. La nourriture était essentiellement composée de morue fraîche, pas de légumes frais, pas de fruits : des pommes de terre et des haricots secs. Pour éviter le scorbut, les marins devaient avaler avec dégoût un verre d´huile de foie de morue à l'odeur nauséabonde. C'était atroce !

Francès avait les doigts déformés par les panaris. Défaire un noeud, accrocher un hameçon à un bas de ligne posaient problème. Il y arrivait avec beaucoup de patience. Quand il cessa de pratiquer la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve il s'acheta un bateau en bois qu'il appela « Notre-Dame-de-Lourdes », car il était très croyant. Il connaissait toutes les bases dans la baie de Lannion, toutes les méthodes de pêche pratiquées par les marins du coin. Sa superstition le rendait parfois désagréable : interdiction absolue de siffler à bord. Il vous coupait le sifflet d'un air mauvais : « arrête, tu ne crois pas qu'il y a assez de vent comme çà ? ». Les jours de grande marée, la grève n'avait aucun secret pour lui. Il connaissait toutes les cavernes qui abritaient congres et homards et il les extirpait de leur profonde cachette avec de longs crocs qu'il fabriquait avec des branches de noisetier. Il ne revenait jamais bredouille. Un jour il fut cruellement mordu à l'oreille par un congre de 20 kilos qu'il portait sur son dos !

Que dire de l'autre conteur ? Il s'appelait Fanch Larcher. Fanch était maçon de métier. Il avait parcouru toutes les routes de France, visité de nombreuses villes et villages du nord au sud, car il était membre des Compagnons du Tour de France qu'on appelait encore les Compagnons du Devoir. Il avait gardé la tenue vestimentaire de ces bâtisseurs d'églises : un pantalon très large et une grande ceinture de flanelle rouge qui serrait la taille. C'était un athée, un mécréant qui ne jurait que par le diable qu'il nommait « Belzébuth » toujours présent dans ses longues diatribes sur le sort de l'humanité. Il avait sa propre morale et il aurait certainement terminé sa vie sur un bûcher à l'époque de la Sainte Inquisition. Presque aveugle à la fin de sa vie, il avait bien du mal à réparer les chaussures que maman lui confiait pour un ressemelage. Comme salaire il n'exigeait qu'un paquet de tabac. Maigre salaire en vérité mais il n'en demandait pas plus !