Du port-refuge à la desserte maritime :
L'île de Batz, située au nord de Roscoff et de la baie de Morlaix, possède un port, situé au sud de l'île, dont l'emprise s'étend sur deux anses (Kernog et An eog). "Au nord, les bancs de rochers s'étendent sur plus d'un kilomètre au large et interdissent absolument de ce côté l'abord du rivage." (Atlas des ports maritimes, 1878). Longtemps port refuge, l'infrastructure majeure de l'île, le môle-Etat, répond à cette destination en protégeant les anses des vents et du courant, permettant ainsi l'extension de la zone de mouillage.
La destination d'abri du port, dont la toponymie bretonne l'a intégré en utilisant le mot pors, est soulignée lors de la présentation du projet de construction du môle en session du 2 avril 1845 de la Chambre des Députés : "Le mouillage de l’île de Batz contribue à la prospérité publique par l'abri et les chances de salut qu’il offre aux navires et aux équipages, il présente à ce titre, une utilité incontestable. Placé à l’entrée de la Manche, et doué de l’avantage inappréciable d’une double passe pour l’entrée et la sortie, ce mouillage a été, pendant la guerre, l’un des meilleurs refuges de nos convois. Aujourd’hui qu’il est éclairé par un phare du premier ordre, il reçoit chaque année plus de quatre mille bâtiments qui viennent y chercher un abri momentané."
Ce projet de môle est un des volets du projet de loi de 1845 relatif à l’amélioration des ports, concernant les ports de Dunkerque, Calais, Boulogne, Fécamp, Port en Bessin, Granville, Morlaix (avec la construction du bassin à flot), l’ile de Batz, Port Launay, Lorient, Marans, Les Sables d’Olonne, Bandol et Bastia.
Le môle (1847-1854) répond donc à une demande ancienne justifiée aussi par la hausse de la fréquentation du port au début du 19e siècle. Cette hausse cependant ne fut pas constante ce qui eu une incidence sur un autre projet, le déroctage de la zone de mouillage (non réalisé). En 1874, seuls 82 navires entrent en relâche au port de l'île-de-Batz. La baisse de fréquentation amorcée dès le milieu du 19e siècle est à mettre en regard de la baisse du cabotage littoral suite au développement des transports terrestres et de la navigation à vapeur. Dans les années 1870, 15 à 20 000 kgr de poissons sont débarqués annuellement à Batz .
Les autres infrastructures, construites tout au long des 19e et 20e siècle, ont essentiellement pour fonction de permettre la desserte maritime de l'île pour le fret et les passagers (Vil vihan et l'île aux moutons). Si actuellement c'est cette dernière fonction qui prévaut, le port de l'île de Batz, par sa situation, demeure un port-refuge ; le dernier accessible de la côte nord avant la pointe occidentale. C'est aussi pour cette raison que se situe l'abri de sauvetage de la SNSM, accolé au môle depuis les années 1950.
A noter, que plusieurs jetées, construites en moellons ou blocs de pierre extraits des rochers situés à proximité, avaient pour fonction de protéger les anses dont celle de pors an eog. Depuis la construction du môle-Etat, la fonction première de ces jetées n'est plus de mise et, protégées de la force des vagues par le môle, elles sont encore observables et identifiables.
Une île stratégique et décrite depuis plus de deux siècles :
L'île de Batz et ses difficultés d'accès ainsi que son potentiel portuaire sont décrits par Jacques Cambry en 1794 :"Le canal de l'île est une excellente relâche pour tous les convois de la Manche. Ils n'y craignent que le vent d'ouest ; et s'il devient trop fort, ils peuvent se sauver dans la baie de Morlaix, susceptible de recevoir de très grands vaisseaux, mais dont la passe est fort étroite [...] Les vents d'est et d'ouest sont les plus favorables pour entrer dans ce canal, ou pour en sortir. Ceux qui règnent le plus habituellement dans ces parages courent du sud-ouest jusqu'au nord-ouest ; on les redoute. On pourrait aisément faire un port plus commode et plus sûr dans un beau bassin, de forme ronde, au sud de l'île. On appelle ce bassin le port Kernoc. Une jetée de cent brasses, bien maçonnée, bien faite de grands quartiers de pierres qu'on trouve sur la rive, produirait de 13 à 14 pieds d'eau dans la haute marée. Il pourrait recevoir des bâtiments de 150 à 200 tonneaux. Des capitaines qui fréquentent ce port et ceux du voisinage ont ouvert une souscription pour ce travail ; on en a déjà sollicité l’exécution près le gouvernement." (Voyage dans le Finistère, état du département en 1794, 1795).
En 1828, l’ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées, Guillaume Goury, dans ses Souvenirs polytechniques, un mémoire sur les ports de commerce du Finistère, décrit ainsi l'île-de-Batz et son port : « L’île de Batz est située au Nord-ouest du port de Roscoff, et n’en est séparée que par un canal ou passage d’environ 5 000 mètres de largeur. Cette île procure un abri aux bâtiments, qui peuvent mouiller entre elle et le continent. Son port, nommé Pors-Kernoc, n’a d’autre ouvrage d’art qu’une chaussée d’embarquement, à pierre sèche, construite récemment sur une longueur de 75 mètres, en face de Roscoff. Le mouillage intermédiaire et le port de Roscoff sont défendus par les feux croisés des batteries, des deux cotés."
Chargée d'études d'Inventaire