Le plan directeur du port de pêche industrielle de Lorient-Keroman, dessiné en 1919-1920 par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Henry Verrière (1876-1965), montre le projet d’un "slip" aménagé au fond du Bassin long. Il s’agit alors d’un slipway où la mise à l'eau, ou à sec, des bateaux se fait parallèlement au bassin. Sur le terre-plein, de part et d'autre du plan incliné de la cale, sont prévues huit lignes de construction ou de réparation navale. Si le site portuaire est inauguré le 17 juillet 1927 (l’usine à glace dite la "Glacière" l’avait été sept ans auparavant), il ne comprend pas encore de slipway. Ajourné une fois, le concours pour la construction du slipway n'a en effet été lancé qu'en 1926.
Après examen des propositions, le marché est attribué à l’Entreprise des Travaux publics de l’ouest et aux Établissements Joseph Paris. L'Entreprise des Travaux publics de l'ouest a en charge les terrassements et bétonnage : caniveaux et massifs, pieux et poutres sous rails spéciaux, plan incliné, garage, fosse du pont basculant, passerelles de guidage, murs de quai, bollard, perrés et bâtiment du treuil principal. Les Établissements Joseph Paris réalisent le pont basculant métallique et ses accessoires, le treuil de halage, l'équipement et la charpente du ber, le bras de centrage, les poulies et rouleaux pour câbles de halage, le treuil de garage et son bâtiment, le dispositif de sécurité et l'appareillage hydraulique.
Les travaux débutent en 1928 : par rapport au plan imaginé par Henry Verrière, le ber descend désormais de la rampe perpendiculairement au rivage, le pont du slipway est devenu basculant et tournant, et les lignes de construction, de réparation navale ou de carénage sont destinées à être implantées en étoile. A sa livraison en 1932, le slipway ne comptait qu’une ligne de réparation désignée comme "voie de garage" puis deux lignes l’année suivante. Six voies sont visibles sur une vue aérienne oblique en 1954, sept voies sur une vue aérienne de 1980.
Mis en service en novembre 1932, le slipway remonte pour les essais le chalutier L’Amérique pesant près de 300 tonnes puis le Men Gwen (L3535) de l’armement Gauthier.
Lorsque l’occupant allemand choisit l’arsenal de Lorient pour implanter la plus grande base navale de l’Atlantique en juillet 1940, il profite de la sécurité des eaux de la rade pour les sous-marins et leur flotte d’accompagnement, des batteries côtières pour la défense des côtes, des infrastructures militaro-industrielles dont les formes de radoub mais aussi, du slipway du port de pêche.
Dès le mois d’août 1940, le U-59, sous-marin allemand de type IIC de 44 mètres hors tout, est remonté de l’eau grâce au slipway, disposé sur l'une des lignes de réparation navale et dissimulé sous des bâches pour un carénage. Afin d’accueillir des sous-marins plus grands dont les types VII-B et C mesurant 67 mètres hors tout, la capacité de charge du slipway est portée de 300 à 400 puis 500 tonnes et des lignes de réparation navale sont ajoutées.
Pour mettre à l’abri des bombardements les sous-marins allemands une fois sur les lignes de réparation, un programme prévoit la construction de deux abris bétonnés de part et d’autre de la rampe inclinée du slipway. Leur longueur et leur hauteur sous pont-roulant sont calées sur celles des sous-marins de l’époque soit une soixantaine de mètres de longueur. C’est l’entreprise Carl Brand de Düren, sous contrat avec l’Organisation Todt, maître d’ouvrage, qui a en charge les travaux de construction qui débutent en février 1941. Une photographie conservée aux Archives municipales de Lorient montre le chantier de construction du bunker ouest. On y voit, au premier plan des travailleurs (?) pendant leur pause, et au second plan, le gigantesque coffrage en bois du bunker entouré d’échafaudages. Un tableau de Ernst Vollbehr (1876-1964) permet de dater la photographie aux environs du 2 avril 1941. Une photographie couleur, publiée dans le journal de propagande nazie Signal, montre un sous-marin sur son ber poussé dans le dom-bunker occidental alors que les portes blindées ne sont pas encore en place. Les deux abris bétonnés, numérotés "T5" et "T6" par les allemands, sont inaugurés en mai 1941.
C’est en raison de leur forme ogivale, conçue pour dévier les bombes, et de la hauteur importante de leurs voûtes en béton (14 mètres de hauteur sous plafond) que ces abris bétonnés sont appelés Dom-Bunkers, dom signifiant "cathédrale" en allemand. Dans le Pas-de-Calais, trois dom-bunkers ont abrité des canons à longue portée sur wagon pour tirer sur l’Angleterre ou dans la Manche sur des navires.
Pour se fondre dans le paysage et échapper aux bombardements, les bunkers du slipway sont camouflés par des zébras de peinture. Si deux sous-marins peuvent être protégés sous les voûtes des dom-bunkers, ils restent vulnérables aux attaques aériennes lorsqu'ils sont hissés sur la rampe ou utilisent le pont tournant du slipway. Les installations du port de pêche demeurent très sensibles aux effets des bombardements aériens.
Le 18 novembre 1942 a lieu un violent bombardement aérien sur la ville de Lorient. Selon le compte-rendu de la défense passive, 27 point de chute groupés ont été relevés autour du slipway et dans un rayon de cinquante mètres le rendant inutilisable. Si le dom-bunker occidental reste utilisable comme nef de réparation navale, atelier ou magasin de stockage, le dom-bunker oriental est dès lors transformé en magasin sur cinq niveaux afin d’y stocker les affaires personnelles des équipages de sous-marins pendant leur embarquement. Pour l’édification des bunkers KIV a et b (restés inachevés), un batardeau est créé en 1943 pour assécher le Bassin long.
Le slipway ne sera remis en état de fonctionner qu’en 1951, après la restauration des bassins et des quais du port de pêche.
A partir de 1956, les Chantiers et Ateliers de la Perrière (les Ateliers Mécaniques de la Perrière ont été créés en 1937) utilisent le slipway et le dom-bunker ouest pour la construction et la réparation navale dans le domaine de la pêche industrielle. Quelques navires militaires ou de transport de passagers sont également passés sur le slipway. Le Roi de Rome est le premier navire construit par le chantier en 1956 pour la Régie Départementale des Passages d'Eaux de La Rochelle. Enez Eussa, navire immatriculé à Brest qui assure la liaison maritime vers l’île d’Ouessant, passe en entretien au chantier lorientais en 1960. Un bâtiment de transport léger de la Marine nationale de plus de 84 mètres est aussi monté sur le slipway au début des années 1990.
Dans le domaine de la course au large, les Pen-Duick III (1967), Pen-Duick IV (1968) et Pen-Duick V (1969) ont été construits en aluminium par les Chantiers et Ateliers de la Perrière et lancés depuis la rampe du slipway.
En 1966, le boulevard du Slipway est rebaptisé rue Ingénieur-Henry-Verrière.
Le pont basculant et tournant du slipway a bénéficié d’un entretien lourd en 1993.
Fin 2001, le slipway est démantelé et remplacé par un élévateur à bateau à sangle de marque italienne "Paolo de Nicola", modèle ELIDRA d’une capacité maximale de 650 tonnes. Ce dernier permet la manutention de plus de 200 navires chaque année.
La fosse du pont basculant et tournant du slipway a été reconvertie en bassin de décantation pour le terre-plein de l’aire de réparation navale.
Le port de Lorient est devenu port régional en 2007 : l’activité de réparation navale est gérée par la société d'économie mixte Lorient Keroman concessionnaire pêche.
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.