Avant la Révolution, les moulins et dépendances (comprenant le plus souvent, un logis, des dépendances et des terres) - sources importantes de revenus - appartenaient quasiment tous à des seigneuries : moulin de Troguindy, moulin de Kerzéhan ou moulin de Pont ar Scoul à la seigneurie de Keriec. Leurs usages sont encadrés par des droits seigneuriaux, "les banalités" : tous les sujets du seigneur devaient ainsi "user de son moulin". Pour la mouture, les sujets devaient un droit proportionnel fixé par la "Coutume de Bretagne".
Du moulin à eau dit "Moulin de l’Évêque" (et du pont-aqueduc immédiatement proche), les archives municipales de Tréguier conservent une extraordinaire représentation issue du "plan de la pompe de Tréguier" réalisé en 1610 par Charles Symon. Le moulin qui appartient au "seigneur-évêque" de Tréguier (jusqu’à la Révolution) y figure ainsi avec sa roue.
Le "bon fonctionnement" du moulin du "seigneur propriétaire" est confié à un meunier "à ferme", le plus souvent pour 9 ans (il s’agit d’une convention par laquelle le propriétaire d'un bien foncier, ici un seigneur, en abandonne la jouissance à un tiers, un meunier, pour un temps et un prix fixé). Des "corvées de moulins" étaient régulièrement organisées par le seigneur pour le curage des biefs et l’entretien des "ponts et chaussées" et maçonneries. Si le seigneur des terres est considéré comme le "maître de l'eau", le meunier est le "maître des meules". A l’origine, les rentes étaient payées en grain au seigneur (denrée plus facile à conserver que la farine) : au 18e siècle, les rentes sont désormais le plus souvent payées en argent.
Selon le cadastre parcellaire de 1835, la commune de Minihy-Tréguier comptait 10 moulins, 1 buanderie, 1 tannerie et 30 routoirs. Sur le Guindy, on dénombre ainsi huit moulins à eau : le moulin du Pont Neuf, le moulin de Kerzéhan, le moulin de Pont ar Scoul, le moulin de Troguindy, le moulin de Keraliou également surnommé "moulin Bourva", le moulin du Pont, le moulin de Kerouzy situé sur la rive de Plouguiel et le moulin de l’Évêque.
A l’exception du moulin de Keraliou qui est une minoterie, les autres moulins sont des teillages liés à la culture du lin aux 19e et 20e siècles. Les archives départementales des Côtes-d’Armor conservent dans la série S - Travaux publics et transports - service hydraulique - des dossiers relatifs aux droits d’eau sur le Guindy et des relevés des moulins sous la cote "28 S 6 (1)".
A ce dénombrement, il faut ajouter deux autres moulins et leurs étangs - dépendant à l’origine du manoir de Saint-Renaud - et alimentés par un ruisseau venant de Traou an Dour (le vallon de la source) et coulant vers le Jaudy (un seul moulin a pu être recensé, le second, figurant sur le cadastre de 1834, a été détruit). La seigneurie de Mézobran disposait également d’un moulin à eau fonctionnant grâce à l’énergie des marées (moulin situé à 600 mètres au nord-nord-est du manoir). Cette installation hydraulique, nommée sur le cadastre ancien "Milin Mor Maizo Bran", littéralement le "moulin mer de Maizo Bran", a aujourd’hui quasiment disparu à l’exception de sa digue de retenue.
Le village du Guindy
Au village du Guindy, point de franchissement du Guindy via le "pont du Guindy", ce sont cinq moulins à eau qui ont été implantés au fil des siècles sur 800 mètres de cours d’eau (voir en annexe, la propriété des moulins selon les états de section du cadastre de 1835). De nombreux logis, datables des 18e et 19e siècle, ont également été recensés. La chapelle Saint-Marc était située le long du Guindy côté Minihy-Tréguier, à mi-chemin entre le manoir de Troguindy et les moulins à eau. La fontaine miraculeuse - ses eaux auraient la faculté de guérir les rhumatismes - se trouve à proximité immédiate.
Le moulin de Troguindy a été reconstruit en 1846 selon l’inscription et le millésime inscrits sur le linteau de la porte principale : "USINE / F. F. PAR JOSEPH P-SSON ET / MARIE LE CHAFFOTEC / 1846". Selon la base de données Généarmor Marie Charlotte LE CHAFFOTEC et Joseph PERRON était mariés.
En 1880 (cette année-là, le pont est emporté par une crue), on dénombre "trois minoteries importantes, celle de M[onsieur] Talibart, de madame veuve Balcou et de Pezron, la tannerie de M[onsieur] Balcou, les usines à lin si considérables de Kerouzy et du moulin de l’Évêque, six buanderies" et environ "40 feux" (ménages). Au Guindy, plus précisément près du pont-aqueduc, transitaient aussi des "engrais marins".
En 1946, le village du Guindy comptait 23 ménages pour 90 habitants : il s’agit de la plus grosse agglomération de la commune derrière celle du bourg.
Les moulins du Guindy sont cités un article de Jean-Yves Andrieux intitulée "L'industrie linière du teillage en Bretagne nord (vers 1850-vers 1950) : proto-industrialisation ou industrialisation défaillante ?" : "0n y [dans le Trégor] remarque du reste aussi des rassemblements plus spectaculaires d'entreprises, comme au Guindy, sur le cours d'eau du même nom, affluent du Jaudy, et les communes de Minihy-Tréguier et Plouguiel, où s'établirent cinq teillages de lin qui cohabitaient avec un moulin à grain : la configuration de ce village est intéressante à signaler pour son système de dérivation, pour la mise en valeur originale d'un site, très proche par ailleurs de la mer, pour la création et l'organisation d'un espace de travail, pour l'affectation et la réaffectation des moulins, dont la plupart allèrent évidemment à autre chose avant de tourner au lin. Ce site fut l'un des premiers à se convertir au textile, dans les années post 1840."
L’enquête d’Inventaire du patrimoine menée en 2008 par Guy Prigent avait permis de collecter le témoignage d’Anne-Marie Bourva (voir texte complet en annexe) : "D'immenses meules de lin recouvertes de chaume se remarquaient en descendant la côte de Tréguier. Le lin était emmagasiné dans les teillages dès le début de l'automne. Les teilleurs achetaient eux-mêmes leur matière première auprès des cultivateurs du secteur. Le teillage durait donc tout l'hiver. Les ouvriers des teillages des moulins étaient employés pendant l'été dans les fermes pour les moissons et les foins ; au printemps, ils partaient presque tous à Jersey arracher les pommes de terre. […] Par l'intermédiaire des moulins, l'eau vive du Guindy entretenait ici au moins une soixantaine d'emplois presque tous masculins. Les autres emplois induits étaient celui des laveuses. Celles-ci travaillaient sur plusieurs lavoirs et habitaient toutes le village de Troguindy [sic]."
Si les moulins du Guindy ont aujourd’hui tous perdu leur usage, ils conservent, pour certains, leur bief, barrage et seuil, vanne(s), roue (non fonctionnelle), mécanismes, machineries et meules. Ils constituent un patrimoine à préserver et à valoriser tout en s’assurant de la continuité écologique du Guindy.
Guillaume Lécuillier, septembre 2019.
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.